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Procès des viols de Mazan : voici la plaidoirie de Me Camus, avocat de Gisèle Pelicot

Retrouvez la plaidoirie de maître Antoine Camus, avocat de Gisèle Pelicot et de sa famille (conjointement avec Stéphane Babonneau) dans le cadre du procès des viols de Mazan.
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L'année 2024 a été marquée par le procès historique dit des viols de Mazan. Fin novembre 2024 marquait une nouvelle étape dans le procès avec le début des plaidoiries des parties civiles.

Voici la plaidoirie de maître Antoine Camus, avocat de Gisèle Pelicot et de sa famille (conjointement avec Stéphane Babonneau) :

Plaidoirie de maître Camus

Je veux d’abord vous dire mon émotion d’être le premier à me tenir devant vous pour, avec mon confrère Babonneau, entamer ce nouveau cycle de parole après ces 2 mois et demi vécus tous ensemble.

Je mesure notre responsabilité, comme auxiliaires de justice, bien sûr, mais aussi comme hommes de notre génération, de porter la voix de nos clients parties civiles. D’être à la hauteur du courage et de la dignité dont ils ont fait montre tout le long de ces mois.

Nous savons aussi les attentes et les espoirs suscités en dehors de cette salle et bien au-delà par ce procès que, par avance et sans attendre, on qualifie déjà d’historique, parce qu’on veut tant collectivement, viscéralement, urgemment qu’il le soit.

Nul, pourtant, ne peut anticiper ce que ce procès apportera de contribution au changement. Ce qui est certain est qu’ici et maintenant, il ne peut être question que de faits précis, d’accusés identifiés et de nos clients qui, et c’est tout le paradoxe, n’en espèrent rien à titre personnel.

C’est pour cela que nos clients ont tous fait le choix immédiat mais réfléchi de soutenir Gisèle Pelicot en ouverture de nos débats le 2 septembre, dans ce geste presque “politique” de renoncer au huis clos.

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"Comment en France, en 2024, une femme peut elle encore subir ce qui a été infligé à Gisèle Pelicot pendant au moins 10 ans ?"

Puisqu’il n’y avait rien à attendre à titre personnel, il fallait bien trouver un sens : ouvrir les portes de cette salle au plus grand nombre, inviter la société toute entière à se saisir de ce dossier pour mener collectivement une réflexion de fond sur ce que, nécessairement, ce dossier pose de questions. Faire de nos débats le terreau d’une prise de conscience, d’un changement des mentalités, d’un avenir meilleur qui romprait enfin avec une violence que l’on voudrait d’un autre âge.

Comment en France, en 2024, une femme peut elle encore subir ce qui a été infligé à Gisèle Pelicot pendant au moins 10 ans ? Comment en France, en 2024, peut-on trouver au moins 50 individus, mais en réalité plus de 70, sur un rayon d’à peine 50 km, pour profiter sexuellement sans le moindre échange d’un corps inerte, sans conscience, qu’on croirait mort et qu’il faut rouler sur lui-même pour le mouvoir ?

Nos clients savaient, ce faisant, qu’il leur faudrait bien sûr renoncer, sans exception, à leur anonymat et la préservation de leur image, mais sûrement pas de leur dignité. Encore moins de leur décence.

Gisèle, que j’ai l’immense privilège d’assister conjointement avec mon confrère mais aussi Caroline, son fils Maxime, son frère Florian et ses 3 enfants, Anna, Ella et Charly, mais aussi Céline sont tous, à leur niveau, percutés différemment mais lourdement, définitivement par les faits qui nous occupent. Pour tous, ce 2 novembre 2020 a produit une déflagration dont l’onde de choc les a frappés de plein fouet.

Quatre ans plus tard, ils restent ensevelis sous les décombres, sans perspective de s’en extirper vraiment, et ce pour le restant de leurs jours. Leur parole s’est déployée à plusieurs reprises au cours de cette audience. Ils ont su mettre des mots sur leur souffrance. Que pourrions-nous bien ajouter, nous, avocats des parties civiles, qui ne soit superflu ?

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"Ce dossier n’est qu’un torrent de larmes et de vies brisées"

La réalité est là, ce dossier n’est qu’un torrent de larmes et de vies brisées. Ici, nous n’aurons pas à prouver, à démontrer que nos clients sont victimes. Personne, pas même les accusés, ne leur dénie ce statut. Tout au plus expliquent-ils que nos clients ne seraient pas “leurs” victimes . Le fait est que pour une fois, nous disposons des images et du son.

Ces vidéos, qui hantent cette salle d’audience, pour sans doute très longtemps encore, sont au centre de ce dossier, si ce n’est le dossier lui-même. Un expert psychologue a soutenu la semaine dernière que le fait de visionner ces vidéos, pour lui comme psychologue missionné pour dresser un rapport, mais aussi pour nous tous, nous exposerait à un risque de “biais cognitif”.

Pour un peu, on nous expliquerait que ces vidéos, qu’on a la chance d’avoir, seraient un obstacle à la manifestation de la vérité ! C’est d’ailleurs ce qu’explique une majorité de nos confrères et défense : à quoi bon les projeter, puisqu’aucun des accusés ne conteste la matérialité des actes qui leurs sont reprochés ?

À quoi bon s’infliger ces visionnages, puisqu’ils ne permettront pas d’entrer dans la tête des accusés et de voir avec leurs yeux ce qu’eux ont perçu dans cette chambre à coucher de Mazan ou chez Caroline ? Nous infliger leur visionnage, jusqu’à la nausée depuis des semaines ne relevait évidemment ni d’un voyeurisme malsain, ni d’un sadisme vengeur de la part des parties civiles.

Bien sûr, ces vidéos ne sont pas parfaites : elles ne proviennent pas d’une caméra de vidéosurveillance qui enregistrerait la scène tout le long. On le sait, ces vidéos sont séquencées, et on sait aussi que l’horodatage n’est pas complètement fiable.

L’expert informaticien a confirmé que les heures relevées correspondent à l’enregistrement sur le disque dur de l’ordinateur de Dominique Pelicot. On ne peut donc pas exclure que ce “travail” n’ait pas été réalisé en temps réel, ni même en une seule fois, même si, à quelques exceptions près, l’horodatage est cohérent avec les autres données rapportées par l’enquête.

Leur visionnage n’en est pas moins déterminant. Pas seulement parce que sans ces vidéos, il est assez probable que les sévices sexuels de Gisèle Pelicot auraient perduré jusqu’à la tuer, mais aussi parce que ces vidéos parlent et qu’elles nous épargnent ici le “parole contre parole”, auquel sont réduits l’immense majorité des procès de viols.

Nous ne pouvions avoir la parole de Gisèle Pelicot qui ne conserve aucun souvenir des viols qu’elle a subis, mais nous avons les vidéos qui établissent qu’elle ne pouvait donner son consentement, et que cette situation n’a pu raisonnablement échapper à personne.

Ces vidéos nous racontent le calvaire d’une femme, la duplicité et la perversion d’un homme qui a trahi la confiance que les siens lui vouaient aveuglément, à commencer par son épouse à qui il n’aura laissé aucun répit. Ni pendant les vacances sur l’ile de Ré, ni les réveillons de Nouvel An, pas même le jour de son anniversaire !

Comment alors, comme avocat des parties civiles, contribuer avec les avocats de la défense, avec le ministère public et avec la cour, à faire œuvre commune de justice et de vérité, puisque c’est bien cette tâche immense qui nous incombe collectivement et sous les yeux du monde entier ?

Cette question nous obsède depuis plusieurs semaines, tant la matière est dense au point qu’elle en viendrait presque à nous submerger, nous engloutir.

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"Qui encore, pour répondre et sous quelles qualifications pénales, de ces MST contractées et qu’il est impossible d’attribuer à tel ou tel ?"

Faire œuvre de justice et de vérité c’est peut-être en premier lieu, justement, du côté des parties civiles, souligner que les qualifications juridiques dont la cour est saisie et qui figent les contours de nos débats sont bien trop insuffisantes, bien trop étriquées pour appréhender ce dossier dans toute son entièreté, dans la plénitude de son horreur. Comme s’il y avait une forme de cécité de notre droit, qui n’a pas poussé aussi loin l’imagination de l’abject.

Les chefs d’accusation sont peu ou prou tous les mêmes : “viol en réunion avec usage de soumission chimique”. C’est techniquement exact, bien sûr, mais ce dont est victime Gisèle Pelicot n’est-il pas davantage un viol de masse, à exécution successive commis à l’instigation de son mari sur près de 10 ans ? Cette qualification n’existe pas. Elle se heurte, bien sûr, au principe suivant lequel chacun n’est pénalement responsable que de son propre fait. Patrice n’est pas responsable pénalement du viol commis par Cédric, s’il n’était pas dans la pièce.

Et pourtant, les débats ont établi que tous, au moins en quittant cette maison de l’horreur, avaient compris que d’autres étaient passés avant eux et que d’autres encore suivraient. Et pourtant aucun n’a cru bon d’alerter la police, de signaler même anonymement les faits : on dénombre plus de 200 viols en 10 ans. Chacun, à sa mesure, à son niveau, a contribué à cette monstruosité et permis la continuation, la répétition pendant 10 ans du calvaire d’une femme dont même un avocat de la défense a concédé il y a quelques jours qu’il confinait à la torture et la barbarie !

C’est la “banalité du mal” d’Hannah Arendt, qui ici prend la forme d’un viol d’opportunité et de lâcheté ! Il n’existe pas d’infraction pour cela, alors même que c’est pourtant bien ce dont il s’agit. Il n’existe pas au plan pénal de responsabilité solidaire. Quant à la complicité, on le sait, elle suppose une aide ou assistance, c’est- à-dire un acte positif. Et quitte à se contenter, alors, du crime de viol et de le démultiplier en autant d’auteurs et de participants pour en diluer la responsabilité, comment ne pas regretter aussi qu’en supprimant la circonstance aggravante de “mise en relation de l’auteur et de sa victime par un moyen de télécommunication”, la chambre de l’instruction ait pu faire montre d’une forme de cécité ?

Non pas qu’il soit ici question de faire le procès d’Internet, pas même celui de Coco.fr. On ne fait pas le procès de l’arme du crime. Mais il faut bien admettre que sans ce site Internet, sans ce fléchage direct et cet hameçonnage à l’insu de la victime mais au plus proche de son domicile, jamais ce dossier n’aurait pu prendre de telles proportions. Supprimer cette circonstance aggravante, c’est une manière de ne pas regarder ce dossier en face, dans son entièreté.

En droit, pourtant, nous l’avons évoqué il y a quelques jours à l’occasion de la déposition du magistrat instructeur à cette barre, notre analyse est que le texte d’incrimination n’impose absolument pas que la victime se soit elle-même trouvée derrière son écran d’ordinateur, comme l’a décidé la chambre de l’instruction par une lecture discutable.

Nous avons fait le choix de ne pas rallonger davantage le cours de la procédure en formant un pourvoi. Nous n’envisageons évidemment pas de remettre ce sujet dans les débats, mais nous nous devions ici de relever cette incongruité.

Ceci d’autant qu’il nous est murmuré qu’après la fermeture par les autorités de ce site internet Coco.fr, où l’on vendait aussi bien de la drogue, des armes et sa femme, d’autres sites auraient depuis pris le relais. C’eût été un message important à faire passer, qui restera une occasion manquée.

Et puis, quelle infraction encore, pour appréhender, entre chaque viol, dans tous ses interstices, cette vie volée pendant 10 ans ? Qui répondra pénalement de ces absences répétées, de ces propos incohérents, de cette angoisse continue d’être atteinte d’une maladie dégénérative ou neuronale au point de se préparer à entrer en institut spécialisé, de ne plus prendre sa voiture après avoir évité de justesse un accident, de ne plus oser sortir seule ou de se pincer la cuisse tout le long d’un trajet en TGV par crainte de s’endormir et manquer son arrêt pour rendre visite à ses petits enfants en région parisienne ?

Qui encore, pour répondre et sous quelles qualifications pénales, de ces MST contractées et qu’il est impossible d’attribuer à tel ou tel ? Techniquement, ce sont bien des viols que Gisèle Pelicot a subis, mais cette qualification apparaît bien insuffisante à lui rendre pleinement justice.

Ce même sentiment doit être encore davantage partagé par Caroline. Cette infraction de “détention, captation, transmission d’image à caractère sexuel sans le consentement de la victime” n’est pas seulement mal ajustée. Elle est une souffrance incommensurable autant qu’une injustice cruelle. Non seulement, en l’état de ce procès et des débats corsetés par son acte de saisine, Caroline ne pourra être reconnue pleinement dans son statut de victime de son père, mais elle restera en outre, avec ses mêmes questions vertigineuses qui la tiennent en apnée depuis 4 ans et la détruisent à petit feu.

La juge Gwenola Journot l’a dit à cette barre, Caroline incarne un inachevé de son instruction qu’il fallait bien boucler dans des délais compatibles avec l’espérance de vie de son père déjà âgé. La réalité est que ces deux photos concernant Caroline, la juge d’instruction les appelle désormais “les nuits en blanc”. Elles sont les seules pour lesquelles, avec constance, son père aura refusé d’apporter sérieusement son concours à la manifestation de la vérité, parmi les plus de 3000 images et vidéos pourtant répertoriées sur son disque dur en forme de tableau de chasse de l’horreur.

Même pour Céline, cette même qualification de “captation, détention, transmission d’images à caractère sexuel sans le consentement de la victime” apparaît bien mal ajustée.

Au cas particulier, leurs images volées se sont probablement transmises et retransmises tant de fois sur le marché de la femme dupée “à son insu”, que nul ne sait qui aujourd’hui les détient encore et les regarde, peut-être jusqu’après leur mort ! Mais Céline, qui le sait, n’y pense pas, parce qu’elle court les médecins et les psychologues pour ses trois enfants, dont aucun ne va bien aujourd’hui. Pour autant, ses troubles alimentaires, ses pertes de cheveux, ses angoisses, la liste à rallonge de symptomatologie traumatique dressée par l’expertise médicale, quelle infraction les appréhende ?

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La personnalité de Dominique Pelicot

Faire œuvre de justice et de vérité pour les parties civiles, c’est ensuite ne sûrement pas laisser dire que Dominique Pelicot aurait “tout reconnu”, et qu’il aurait de bonne grâce prêté son concours à cette audience.

Dominique Pelicot, le dossier d’enquête le montre, ne reconnait jamais rien spontanément, complètement.

Ce qu’il reconnaît, il n’a pas d’autre choix que de le reconnaître parce que la preuve lui est agitée sous le nez.

Toujours, avec constance.

Faut il rappeler que d’une évaluation initiale par l’intéressé de 15 individus, nous sommes passés au fur et à mesure de l’exploitation en cours d’enquête à la reconnaissance par Dominique Pelicot de 30, puis 40, puis 50 violeurs de sa femme.

Et lorsqu’en définitive, il lui a été fait observer que le décompte des enquêteurs se rapprocherait davantage de 70, il a simplement répondu “ça ne me paraît pas incohérent” (sic).

Faut-il aussi rappeler ses tergiversations en cours d’enquête sur la datation de l’expérience inaugurale ?

Il a d’abord situé les premières sédations avec certitude en 2015, parce que son épouse s’était faite prescrire du Témesta, il s’en souvenait alors très bien.

Et lorsqu’on lui a fait observer que cette prescription pour son épouse datait en réalité de 2017, il a alors expliqué qu’en tout état de cause, cette toute première fois avait eu lieu à Mazan, seulement à Mazan, où il n’avait déménagé pour sa retraite qu’en mars 2013.

C’était avant que toutes les vidéos n’aient fini d’être exploitées, et nous sommes arrêtés à ce mois de juin 2011, faute de vidéos antérieures, mais alors même que Gisèle Pelicot situe ses tous premiers “black-out” en 2010.

Se souvient-on encore de ces photos volées prises à l’insu de ses belles-filles ? Dominique Pelicot a expliqué s’agissant de Céline qu’il s’agissait de sa part d’une forme de curiosité, une seule fois.

On le sait, les photos concernant Céline ont été faites à plusieurs époques différentes puisqu’elle est manifestement très enceinte sur certaines et pas du tout sur d’autres.

Céline reconnaît aussi son linge de bain qui est différent sur ces photos, puisqu’elles ont été prises dans sa salle de bains, chez elle, dans ce lieu le plus intime qui soit, où l’on s’enferme généralement à clé !

Nous garderons en tête, du côté des parties civiles, le rapport et la déposition du docteur Bensussan, soulignant la propension de l’intéressé au mensonge et sa capacité à contourner tous les obstacles, quitte à inventer au fur et à mesure pour s’épargner.

Il n’y a bien que pour sa fille Caroline qu’il échoue, comme si, ici, le clivage disjonctait. Il avait pourtant reconnu, “a minima” mais tout de même, péniblement, pas à pas devant le magistrat instructeur, au fur et à mesure qu’on le confrontait à des éléments matériels précis ces deux photos où sa fille est endormie et qu’il avait consultées quelques mois avant la perquisition, mais aussi la création de ce fichier également effacé mais révélé par l’expertise informatique sous l’intitulé “ma fille à poil”.

Et encore ce montage comparatif mère/fille et son partage sous un intitulé particulièrement explicite “ma salope et SA fille”.

Il les avait reconnues, il les avait assumées en indiquant au magistrat instructeur : “Je reconnais, c’est dégueulasse”.

Aujourd’hui, dans le box des accusés, Dominique Pelicot n’est plus tellement sûr de ses souvenirs.

Lui qui voudrait se présenter comme celui qui ne cache plus rien, qui confesse tout, fait le choix dans cette salle d’audience, qui est sans doute sa dernière chance de parler à sa fille, de lui laisser pour derniers mots : “Je ne suis pas bien sûr que ce soit elle sur ces photos, et si c’est elle, ce n’est pas moi qui les ai prises” !

Mesure-t-il seulement le degré de perversité de cette posture, qui est presque plus inquiétante encore tant elle recèle de questions supplémentaires ?

Si ce n’est lui, qui est-ce ? À quelles fins ?

Et pourquoi se retrouvent-elles sur son ordinateur ? Pourquoi les a-t-il effacées ?

Ici encore, à cette barre, le docteur Bensussan, sommité de la psychiatrie, nous avait prévenus : lorsque je lui avais demandé s’il avait un conseil pour obtenir de Dominique Pelicot qu’il donne si ce n’est à la cour au moins à ses enfants cette vérité qu’ils attendent, il m’avait alors répondu, autant à moi que sans doute à la cour : “bon courage”.

Sa famille devra donc, comme la Cour, faire avec.

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Soumission chimique

Aujourd’hui, nos clients peinent à croire qu’entre 1999 (pour ne parler que de cette date) et 2011, Dominique Pélicot soit parti jouer au majong.

Nos clients, malheureusement, n’excluent rien et s’attendent à tout, rongés par l’angoisse d’en découvrir encore davantage, et ce pendant des années.

Faire œuvre de justice et de vérité pour les parties civiles, ce pourrait être aussi, peut-être, de cesser une fois pour tout cet étonnement dubitatif, lorsqu’il n’est pas suspicieux, que Gisèle Pelicot n’ait pu, vraiment, se rendre compte de rien !

Ceux qui le pensent n’ont manifestement pas lu le dossier.

Les signes, notre cliente l’a dit, ne manquaient pas.

Ils sont d’ailleurs rapportés par tout son entourage qui, lui aussi, les avait évidemment relevés et qui s’en inquiétait comme Gisèle Pelicot elle-même, et qui en parlaient entre eux, sans pouvoir se douter de ce qui se cachait derrière ces années d’errance médicale !  

Si ce procès peut au moins servir immédiatement à quelque chose, être utile sans attendre une énième réforme législative ni même un fléchage budgétaire, c’est d’intégrer dès à présent dans nos consciences les ressorts de ce mode opératoire diabolique, cet usage de la boîte à pharmacie familiale imaginé par Dominique Pelicot autant par utilité criminelle que pour exciter sa perversion et son fantasme de toute puissance.

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"L’utilisation dérivée de molécules chimiques ne date pas d’hier"

Quelques cachets seulement concassés dans une fiole toujours préparée d’avance, pour profiter à sa guise d’un corps désiré, mais à son insu. 5 longues heures à se prendre pour Dieu, se chercher des fidèles et, seul ou tous ensemble, en jouir impunément. Avec même, en prime, une forme de déculpabilisation à franchir la ligne rouge de l’interdit : puisqu’elle dort, qu’elle ne se réveillera pas, elle n’en saura jamais rien. Quant à lui, il est trop impliqué pour dénoncer, donc profitons tranquillement, après tout, ça les regarde, c’est leur histoire et tant qu’à faire, si on peut se conserver une petite photo souvenir de cette expérience, alors pourquoi pas ?

L’utilisation dérivée de molécules chimiques ne date pas d’hier.

Elle apparaît au mitan des années 80-90, à des fins d’abord récréatives dans les boîtes de nuit, puis rapidement criminelles avec des drogues ou des médicaments.

Il s’agit alors du GHB ou de Rohypnol, on parle à l’époque de “soumission médicamenteuse”. Avec les premières alertes documentées au début des années 2000 à l’initiative de victimes d’agressions, les pouvoirs publics commencent à s’intéresser au sujet. Médias et associations de victimes alertent le grand public : ce sont les premières campagnes de sensibilisation. Elles ciblent exclusivement à l’époque les risques liés à la consommation de boissons laissées sans surveillance dans les bars et autres lieux festifs.

En 2003, l’AFSSAPS devenue depuis l’Agence nationale du médicament, réalise pour la première fois une enquête nationale sur le phénomène de la soumission chimique, pour en évaluer l’ampleur et recueillir des données sur les substances utilisées, les contextes d’utilisation et les conséquences pour les victimes.

Elle mettait en lumière l’importance du problème et la nécessité de renforcer les mesures de prévention et de détection. C’était il y a déjà plus de vingt ans.

Depuis, la France n’a eu de cesse de renforcer son arsenal législatif pour lutter contre ce phénomène.

La loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance introduit un article 222-15 du Code pénal, qui incrimine l’administration de substance nuisible. Il faudra en revanche attendre la loi du 6 août 2018 pour en faire une circonstance aggravante du crime de viol, lorsque l’administration de cette substance à l’insu de la victime a permis d’altérer son discernement ou le contrôle de ses actes.

Le renforcement du dispositif en termes notamment de formation des professionnels, de développement des protocoles médicaux, de poursuite des campagnes d’information, les rapports annuels de l’ANSM l’attestent : nous ne parvenons pas à endiguer le phénomène, complexifié encore par l’irruption massive des drogues de synthèses, qui n’ont de cesse de déjouer la réglementation, dont l’évolution est scrutée en temps réel depuis des laboratoires d’Europe de l’Est, qui s’approvisionnent en substances dites “précurseur” directement livrées depuis l’Asie.

Le rapport 2023 pour l’année 2022 est sans appel : il révèle, avec 1229 agressions identifiées comme facilitées par les substances, une explosion de 69,1 % par rapport à l’année précédente, sans même tenir compte des suspicions de “piqûres malveillantes” pour lesquelles aucune substance suspecte n’a pu être identifiée.

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“Ma Gisèle, mais que fais-tu donc de tes nuits ?”

Ce que met à jour ce dossier est un autre angle mort de notre arsenal : lorsqu’elle intervient dans un cadre intra-familial, à l’initiative de proches en qui la victime place toute sa confiance, la soumission chimique devient le mode opératoire du crime parfait.

Gisèle Pelicot ne s’est pas réveillée un matin sur un trottoir, le visage tuméfié.

Elle ne s’est pas non plus réveillée dans un lit aux côtés d’un inconnu.

Elle se réveillait chaque matin chez elle, dans son lit, aux côtés de l’homme qui partageait sa vie depuis près de 50 ans, qu’elle aimait, qui ne la battait pas, qui était prévenant et même s’inquiétait lui aussi de ses endormissements subits.

Celui-là même qui lui prenait volontiers rendez-vous chez le médecin, qui la sermonnait de s’épuiser à force d’allers-retours en région parisienne pour s’occuper de ses petits-enfants.

Celui-là même qui l’accompagnait chez le gynécologue lorsqu’elle s’inquiétait de signaux inhabituels, mais toujours avec la bienveillance du mari un brin moqueur, mais rassurant, qui rétrospectivement glace le sang : “Ma Gisèle, mais que fais-tu donc de tes nuits ?”

Celui-là même qui lui apportait si gentiment (quelle chance avait-elle !) sa glace ou son écrasé de pomme de terre favori dans lequel la fiole venait de déverser son contenu.

Comment imaginer que le danger vient de l’intérieur, au cœur même d’un foyer que l’on pense sécurisant et aimant ?

Le drame de nos clients, c’est justement que le principal accusé ne les battait pas et qu’il ne leur avait jamais donné à voir que la face A de sa personnalité si dérangée et clivée. C’eût été tellement plus simple s’ils l’avaient vu venir !

La vérité est que tous l’adoraient, dans l’ignorance de cette autre facette de sa personnalité qu’il donnait peut-être à voir à d’autres depuis longtemps.

Cette face B, il aura même fallu qu’il endorme son épouse pour la lui faire subir !

En cela, nos clients ressemblent à toutes ces femmes, ces mères, ces sœurs ou ces filles ayant défilé à la barre en soutien des accusés : elles non plus n’ont rien vu, tous sont tombés de haut.

Pour Gisèle Pelicot, ni ses enfants, ni ses amis les plus proches, ni les médecins, personne et pas même elle-même n’a su interpréter ces signaux qui pourtant étaient là.

On ne peut pas imaginer l’inimaginable.

Caroline Peyronnet l’a compris. Elle a fait de ce sujet son combat à vie, en créant une association qui aujourd’hui fait référence et ne cesse depuis d’accumuler les signalements et les témoignages.

En l’état, la réalité est que 99 % des victimes de soumission chimique n’ont pas la preuve matérielle ni accès aux analyses toxicologiques, en tout cas pas en temps utile.

Caroline est conforme à la règle.

Gisèle Pelicot est une exception.

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Juger le viol en 2024

Faire œuvre de justice de vérité, pour les parties civiles, est aussi dire quelques mots de ce que nos débats depuis le 2 septembre ont infligé de violence pour Gisèle Pelicot et sa famille.

En ouvrant les portes de cette salle d’audience, ce qu’elle voulait donner à voir au plus grand nombre, ce n’est pas tant le viol dans toute sa crudité et son horreur que la manière dont on défend encore le viol, en France, en 2024.

Cette décision, elle ne l’a pas regrettée un seul instant.

Toutes les victimes de viol n’ont pas la chance d’être portées chaque matin par des applaudissements dans le hall du Palais de justice et d’en ressortir avec une haie d’honneur pour être encouragée à y revenir.

C’est une situation qui d’ordinaire n’existe pas. L’immense majorité des victimes vivent cette épreuve seules, enfermées dans la salle avec leurs violeurs.

Si nos débats depuis l’extérieur sont un laboratoire, alors ils donnent sûrement matière à réfléchir.

Il n’est évidemment pas question, ici, de brider les droits de la défense. À plusieurs reprises au cours de cette audience, nous l’avons dit : on ne transige pas avec les droits de la défense, qui doivent s’exercer pleinement jusqu’au bout.

Les accusés ont le choix de leur propos comme ils ont le choix, encore heureux, de leur ligne de défense, c’est leur ultime liberté.

Mais nous avons aussi, du côté des parties civiles, la liberté de dire ce que nous pensons de cette ligne de défense.

Nous avons la liberté de nous étonner qu’en matière de viols, en France, en 2024, il y ait encore pour les victimes à passer par la phase quasi obligée de démonstration qu’on est une “bonne victime”.

Comme s’il y avait de bonnes ou de mauvaises victimes de viols, comme si le fait pour une femme d’avoir hors de la scène de crime une sexualité libérée, peut-être même débridée, serait disqualifiant pour occuper un siège sur le banc des parties civiles.

Que dit cette stratégie de défense ?

Qu’une actrice de pornographie ne pourrait être victime de viol ?

Se souvient-on de ces deux premières semaines d’audience et de ce scellé qu’on a voulu ouvrir pour y extraire des images relevant de l’intimité de sa vie privée, hors la scène de crime ?

Certains avaient cru y déceler une ressemblance avec cette femme prénommée paraît-il Nadine, manifestement consentante, sur une balançoire.

Si les seules vidéos de Gisèle Pelicot encore un peu consciente retrouvées dans le disque dur de son mari n’avaient pas été, en réalité, des viols entre époux en préparation de ceux des autres accusés, qu’aurait-on dit ? Qu’elle n’est pas victime des viols que lui ont infligés les 51 accusés ? Qu’elle était forcément consentante ? Même inconsciente ?

Hier encore dans cette salle, et alors que nous pensions naïvement cette séquence définitivement fermée après deux mois et demi de visionnage de vidéos édifiantes, nous l’avons vue resurgir, cette suspicion, avec une forme de déchaînement.

Tour à tour, encore hier, on lui a fait le reproche de faire preuve de plus d’indulgence à l’égard de son ex époux qu’à l’égard de ses co-accusés, de ne pas s’ériger en “procureur bis” de Dominique Pelicot.

On continue encore, du côté de la défense, de s’insurger de ce que Gisèle Pelicot ne serait pas “suffisamment” dans la haine envers le principal accusé.

Une manière ici encore de suggérer qu’il y aurait bien une forme de connivence suspecte !

Ceux-là, manifestement, feraient mieux de relire Roland Barthes et ses “Fragments d’un discours amoureux”.

Ils pourraient aussi, avec la philosophe Claire Marin, s’intéresser à la notion de “désamour” et la manière dont se rompent des liens patiemment mais sûrement tissés, jour après jour, ici pendant près de 50 ans, c’est-à-dire une vie entière !

Nous avons même entendu hier un confrère s’insurger de ce que Gisèle Pelicot serait incapable de reconnaitre qu’elle aurait vécu 50 ans dans le mensonge et la tromperie de son ex-époux.

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“Maltraitance de prétoire”

Et quand bien même ! Serait-elle dans le déni plutôt que la résilience, que regrette-t-on au juste du côté de la défense ? Que Gisèle Pelicot ne se tire pas une balle dans la tête, ce qui en ferait alors éventuellement une “bonne victime” ?

Il était pour nous important de faire préciser au docteur Bensussan la notion de “clivage”, et le fait que oui, ces 50 ans de bonheur n’étaient pas un mensonge, qu’ils avaient bien existé, que Gisèle mais aussi ses enfants, ils les avaient tous bien vécus !

Qui est-on pour oser lui dire comment continuer à avancer et tenir debout ?

Qui oserait lui dire en face, comme hier, que ses 50 ans de vie commune n’ont été qu’un mensonge ?

On lui a même reproché, en lui aboyant dessus, de ne pas décerner des médailles à ceux des accusés, si rares, qui reconnaissent l’intégralité des qualifications poursuivies.

Pour un peu, on aurait voulu qu’elle établisse un podium entre les uns et les autres avec bien sûr tout en haut, Dominique Pelicot.

Nous avons bien basculé hier encore dans une forme de “maltraitance de prétoire”.

Ce qu’on est venu nous dire entre les lignes bien comprises est ceci : Gisèle Pelicot n’aurait été attentive à aucun des signaux qui pourtant s’accumulaient. Son aveuglement aurait été tel que, finalement, et puisque les accusés (nous dit-on !) ne sont pas responsables des viols qu’elle a subis, c’est donc elle qui en est responsable, puisqu’elle aurait pu les éviter.

Toute institution, nous le savons depuis les travaux de Michel Foucault, porte en elle une part de violence. L’institution judiciaire n’échappe pas à la règle, c’est une évidence, et la violence qu’elle inflige est nécessaire, inéluctable, tant du côté des parties civiles que du côté de la défense.

Mais n’est-ce pas précisément de notre rôle d’auxiliaire de justice, ayant occupé hier l’autre côté de la barre et appelés demain à nous y trouver encore, de faire notre part d’introspection ? De reconnaître qu’il est, au moins au cas particulier des viols, des violences parfois inutiles, gratuites ? D’admettre avant de le décider, que certaines de ces stratégies de défense n’ont plus leur place dans une enceinte judiciaire en France, au 21e siècle ?

Si la défense est libre, elle dit aussi ce que nous sommes.  

"Je ne serai jamais apaisée" : ce que Gisèle Pelicot a dit au procès des viols de Mazan mardi 19 novembre

Qui sont les violeurs ?

Faire œuvre de justice de vérité, enfin, pour les parties civiles, serait d’avancer un peu dans la compréhension du “pourquoi” et du “comment”. On a dit des accusés qu’ils seraient “Monsieur Tout-le-monde”.

Le box des accusés, c’est vrai, est une sorte de kaléidoscope de la société française. On y trouve des milieux socioculturels différents, des professions variées, et tous les âges sont à peu près représentés.

Mais nous ne croyons pas, sur les bancs des parties civiles, que Monsieur Tout-le-monde existe, comme nous ne croyons pas non plus aux monstres !

Il serait peut-être temps d’intégrer que les violeurs ne sont pas nécessairement sériels, et qu’on peut bien ne violer qu’une seule fois dans sa vie.

Alain Dumez, expert psychologue agréé près la cour de cassation nous l’a dit sans détour : il n’existe pas de profil du violeur.

Le Docteur psychiatre Mathieu Lacambre, aux états de service irréprochables, a lui aussi été d’une clarté limpide. On doit distinguer le pervers ou prédateur sexuel, qui va chasser sa proie et tirer plaisir à imposer un rapport sexuel à sa victime, et le violeur qui, lui, n’est pas forcément un pervers, mais va saisir une opportunité, sans tirer une jouissance particulière du fait d’imposer.

Au regard de la loi, il sera un “violeur” au même titre que celui qui vole un article dans un supermarché est un voleur, ce qui ne fait pas de lui une “nature” qui viendrait anticiper de ce que sera, demain, la suite de sa trajectoire de vie.

La question, alors, qui obsède Gisèle Pelicot et sa famille depuis l’ouverture de ce procès est de savoir comment pareille situation a pu se produire. Il lui faut comprendre.

Comment ces hommes ont-ils pu à ce point l’objectaliser et la réduire à l’état de réceptacle alors qu’elle aurait pour la plupart pu être leur mère, et pour certains même leur grand-mère ?

Après deux mois et demi de débats, après avoir scruté les enquêtes de personnalité, entendu les témoins, analysé les parcours, examiné les rapports des psychiatres, on reste comme prisonniers d’un labyrinthe. On voudrait trouver un dénominateur commun, mais celui-ci reste introuvable. Si cela est vrai pour certains (40% a-t-on lu), tous n’ont pas subi des violences sexuelles enfant ou adolescent.

Il y a assurément ici une piste, mais celle-ci est insuffisante. La majorité des victimes de sévices sexuels ne deviennent pas à leur tour des auteurs. Si cela est vrai pour certains, tous ne sont pas des pervers dont les psychiatres auraient diagnostiqué des paraphilies.

Tous ne sont pas non plus des surconsommateurs de pornographie, même si un éminent psychiatre a expliqué la semaine dernière les mécanismes et l’importance de cette industrie dans la construction des fantasmes, et les dangers qu’elle représente du fait de son accès de plus en plus précoce.

Si cela est vrai pour certains, tous n’ont pas de casier judiciaire, tous ne se trouvaient pas au moment des faits dans une forme de précarité affective et sexuelle.

Le “pourquoi” n’est donc pas à rechercher dans un dénominateur commun introuvable.

Mais la réponse n’est-elle pas alors, finalement, celle du libre arbitre ?

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"On a toujours le choix"

Si Gisèle Pelicot en a été privée pendant 10 ans, le libre arbitre n’est il pas justement, ce qui en revanche relie tous les accusés entre eux ?

Les expertises psychiatriques nous confirment qu’aucun trouble psychique ou neuropsychique n’est venu au moment des faits abolir ni même altérer leur discernement et le contrôle de leurs actes.

Même si certains ont été trompés, pourquoi pas, sur le scénario et sur ce qu’ils trouveraient une fois sur place, la “manipulation” s’arrête nécessairement aux portes de la chambre à coucher.

La manipulation, ce n’est pas de l’hypnose !

Tous ont conservé leur boîte à outils leur permettant de percevoir et comprendre l’environnement qui les entouraient dans cette chambre, pour ajuster leur comportement.

“Monsieur Tout-le-monde”, assurément, les accusés en ont l’apparence.

Mais ce qui les en distingue, pour le docteur Layet, est que ceux-là, précisément, ont fait ce qui leur est reproché, ce que ne font pas les autres. Tous ont, d’une certaine manière, “choisi”.

Choisi de se rendre en connaissance de ce qui les attendaient, de ce qu’ils trouveraient sur place, dans cette maison de Mazan, pour ceux dont on a pu retrouver les échanges préalables avec Dominique Pelicot sur Skype, particulièrement explicites.

Et pour ceux pour lesquels on n’a pas retrouvé ces échanges préalables en cours d’enquête, ils ont bien choisi, décidé de démissionner de la pensée.

Ceux-là ont fait le choix de démissionner de la pensée, qui est précisément ce qui nous distingue de l’animal, pour faire prévaloir leurs pulsions.

Ils ont bien décidé de ne pas se poser de questions ou pas les bonnes questions, et de faire primer leurs postulats, leurs préjugés, leur vision du monde :

“Puisque c’est le mari qui ouvre la porte, c’est donc que sa femme est consentante”.

“Puisque j’ai échangé avec le mari et qu’il le certifie, c’est donc qu’elle est consentante”.

Ceux-là ont décidé, choisi de parier, dans une forme d’indifférence du résultat, sans avoir jamais échangé directement avec elle, ni avant, ni pendant, ni après… On va dire qu’elle est consentante. Qu’on leur ait peut-être même dit “viens, on va jouer à violer ma femme, mais en fait elle est consentante”, ceux-là ont parié et joué, aux dépens de Gisèle Pelicot.

Ils ont décidé et choisi de faire confiance à cet inconnu qu’ils ne connaissaient pas, rencontré quelques heures auparavant sur un site Internet dont tous reconnaissent qu’il fallait s’en méfier. Tous ont fait le choix de profiter d’un corps dont aucun ne pouvait sérieusement ne pas percevoir qu’il était dans l’incapacité de confirmer, d’infirmer, d’exprimer un consentement.

Tous ont fait le choix d’imposer “leur” vision de ce qu’est le consentement en matière sexuelle. Un consentement qui pourrait se donner par procuration, un consentement qui pourrait, une fois donné, ne pas se reprendre. Un consentement indifférencié, quant à la nature des actes infligés et l’identité du partenaire.

On a toujours le choix.

Deux individus seulement sont venus témoigner pour dire qu’ils avaient renoncé au projet proposé par Dominique Pelicot.

On a toujours le choix.

Alors, faire œuvre commune de justice et de vérité pour les parties civiles, ce pourrait être finalement, du côté de la cour, de remettre l’église au centre du village, par quelques attendus de principe puissants, clairs et fermes.

• Sur la notion de libre arbitre que chacun conserve, toujours, et qui précisément même dans un dossier comme celui-ci laisse un peu d’espoir sur la nature humaine ;

• Sur la notion de consentement en matière sexuelle, qu’une philosophe française, Manon Garcia, professeure à Harvard et à Yale, définit comme une “conversation”. Une conversation des corps, une attention de chaque instant prêtée à l’autre et maintenue tout le long ;

• Sur la notion d’intention en matière de viol.

Gisèle Pelicot aurait toutes les raisons du monde d’être dans la haine, qui le lui reprocherait ? Elle aurait toutes les raisons d’opposer les hommes et les femmes, et de fustiger la sexualité masculine en général. Mais elle a choisi, malgré ce qu’elle a subi, de transformer cette boue en matière noble, de dépasser la noirceur de son histoire pour y trouver un sens.

Elle compte avec sa famille désormais sur la Cour pour l’y aider.

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