Indifférents aux deux bousculades meurtrières, aux trains bondés, aux hôtels complets et aux matières fécales polluant les fleuves sacrés dans lesquels les pèlerins se lavent de leurs péchés, plus de 620 millions de personnes ont convergé durant six semaines vers Prayagraj, dans le nord de l'Inde, pour la Kumbh Mela.
Dès leur arrivée, ils sont accueillis par d'immenses portraits de Narendra Modi et de Yogi Adityanath, un moine qui prône un hindouisme radical, présenté comme son successeur potentiel.
Tous deux répètent à l'envie que ce rassemblement religieux, qui se termine mercredi, est le plus grand de tous les temps, exploitant cet événement pour promouvoir l'hindouisme à l'international mais aussi pour asseoir le pouvoir de leur formation, le Bharatiya Janata Party (BJP).
Au-dessus de la marée humaine qui campe dans la ville de tentes, installées pour l'occasion le long des berges des fleuves sacrés, des haut-parleurs saluent les réalisations du parti nationaliste au pouvoir.
Ils espèrent que les plus de 620 millions de fidèles qui, selon l'Etat organisateur de l'Uttar Pradesh ont déjà participé à ce message, seront porteurs de ce message, une fois de retour chez eux. Il est impossible de vérifier de manière indépendante ce chiffre vertigineux annoncé lundi.
"Ce sont des rois"
"Nous leur sommes très reconnaissants. Ils ont fait un excellent travail", souligne Satendar Singh, 60 ans, venu de l'Etat du Bihar (est).
"Seuls eux reviendront au pouvoir maintenant, personne ne peut les remplacer".
Outre ces deux dirigeants, des magnats et des stars de Bollywood ont fait la une des médias nationaux en se plongeant à la confluence du Gange et de la Yamuna.
Le succès de cette édition, qui a débuté le 13 janvier, était crucial pour asseoir le pouvoir du Premier ministre, étroitement lié au soutien des plus d'un milliard d'hindous sur les 1,4 milliard d'habitants que compte le pays.
Narendra Modi a été élu pour un troisième mandat consécutif l'an dernier avec un programme nationaliste hindou mêlant cette religion majoritaire à la politique et à l'économie.
Evoquant ce festival, il a raillé les gouvernements précédents, affirmant qu’ils ne s’en occupaient pas, contrairement à son gouvernement qui "respecte la culture et considère qu'il est de sa responsabilité d'offrir tous les équipements aux fidèles".
La Kumbh Mela, qui se tient à Prayagraj tous les 12 ans et termine mercredi, est l'événement le plus important du calendrier hindou.
Avant son ouverture, MM. Modi et Yogi ont souligné les immenses investissements réalisés pour accueillir dans les meilleures conditions les pèlerins, un effort qui a renforcé le loyalisme de ses partisans.
"Ils font ce qu'aucun autre gouvernement ne pouvait faire pour nous, et je veux qu'ils restent au pouvoir pour toujours", explique Sonu Sharma, 48 ans, de Prayagraj.
"Ce sont des rois, et la seule chose qu'un bon roi veut, c'est tout ce dont ses sujets ont besoin".
"Outil de division religieuse"
Mais beaucoup de musulmans de Prayagraj, qui représentent environ un cinquième de ses 7 millions d'habitants, s‘inquiètent.
Pour eux, la Kumbh Mela est un moyen pour le BJP de favoriser les hindous, au détriment notamment de leur communauté estimée à 200 millions de personnes à travers le pays.
Beaucoup appellent Prayagraj (sanskrit), sous son ancien nom, Allahabad, donné par un souverain moghol Akbar au XVIe siècle. Le BJP a renommé la ville en 2018.
Un militant local, Mohammad Akram, 38 ans, accuse le BJP de vouloir transformer ce pèlerinage ancestral en un "outil de division religieuse".
Contrairement aux éditions précédentes, les mises en garde d'hindous radicaux ont dissuadé de nombreux commerçants et colporteurs musulmans d'entrer sur le site du rassemblement.
Selon Mohammad Zahid, 52 ans, un commerçant, "99% des musulmans locaux n'ont pas installé de stands là-bas, par peur".
Il s'inquiète de la disparition du passé musulman de la ville.
"Vous pouvez la renommer, mais comment pouvez-vous changer ce tissu culturel de fraternité qui est le fondement d'Allahabad?".
Le prédicateur Syed Farooq Ahmed, 55 ans, dont la famille vit à Prayagraj depuis des générations, se dit "attristé" par une telle division qui n'est "pas l'héritage culturel commun d'Allahabad".
Il raconte qu'un aïeul a construit, il y a 300 ans leur maison et la mosquée à côté, et allait dans le Gange se purifier avant les prières.
"Cette rivière n'appartient à aucune caste ni religion".