Selon la presse locale, plusieurs hommes sont morts après avoir acheté de l'alcool contrefait dans un restaurant turkmène de la ville, à 30 livres turques (0,80 euro) les 50 cl.
En comparaison, le raki, alcool anisé traditionnel, coûte pas moins de 1.300 livres (35 euros) le litre au supermarché, dans un pays où le salaire minimum s'élève à 600 euros.
Ce prix et ceux des autres boissons alcoolisées, plus élevés en moyenne en Turquie – pays à majorité musulmane - que dans l'Union européenne, alimentent la production clandestine.
"Nous perdons au moins 500 personnes par an à cause de l'alcool contrefait. C'est un massacre, une tuerie de masse, et ce sont des morts causées par les taxes!", s'est insurgé mercredi devant le parlement turc Mustafa Adigüzel, député du CHP (social-démocrate).
"Il faut remédier au prix exorbitant de l'alcool", a insisté l'élu du principal parti d'opposition au gouvernement islamo-conservateur du président Recep Tayyip Erdogan, musulman pieux férocement opposé à la consommation d'alcool.
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"Argent facile"
Sans évoquer les personnes décédées ou hospitalisées, le président turc a taclé vendredi l'opposition, "dont la plus grande promesse est de baisser le prix du raki", a-t-il lancé.
Çagin Tan Eroglu, co-coordinateur d'une association de surveillance des politiques publiques en matière d'alcool, recense les seuls décès rapportés par la presse, mais affirme que "leur nombre croît" sous l'effet des hausses des taxes sur l'alcool, qui interviennent chaque semestre.
Selon le gouvernorat local, 48 personnes sont mortes intoxiquées à l'alcool frelaté en 2024 à Istanbul. Contacté par l'AFP, le ministère turc de la Santé n'a pas communiqué de chiffre national.
"Les taxes permettent au gouvernement de récolter de l'argent facile tout en punissant politiquement un certain mode de vie", accuse M. Eroglu. "Mais des gens meurent à cause de ces politiques irresponsables et ouvertement idéologiques".
Le montant de la taxe sur le raki, introduite après l'arrivée au pouvoir du Parti de la justice et du développement (AKP) du président Erdogan en 2002, a bondi de plus de 2.500 % depuis 2010 – une hausse spectaculaire que la très forte inflation ne suffit pas à expliquer -, faisant grimper le prix de la boisson plus vite que les salaires.
"Près de 70 % (du prix) d'une bouteille est constitué de taxes. Une telle pratique n'existe dans aucun autre pays", affirme à l'AFP Özgür Aybas, président de l'association des revendeurs d'alcool, pour qui la situation est telle en Turquie qu'"aujourd'hui, même dans les restaurants les plus luxueux, de l'alcool frelaté peut être servi".
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"Terroristes"
"La mauvaise politique du gouvernement est entièrement responsable de la mort de citoyens", assène-t-il, jugeant que les consommateurs d'alcool "sont traités comme des citoyens de seconde classe".
La hausse des prix des boissons alcoolisées est toutefois indolore pour la majorité des Turcs.
Si l'alcool est plus répandu en Turquie que dans la plupart des pays à majorité musulmane, seuls 12,1 % des Turcs disent en consommer, avec une différence marquée entre hommes (18,4 %) et femmes (5,9 %), selon l'institut turc de la statistique.
"Nous augmentons sans cesse le prix de l'alcool et des cigarettes (...) mais ils n'arrêtent pas d'en consommer", avait lancé en 2022 le président Erdogan, qui s'est évertué à promouvoir l'ayran, à base de yaourt, comme boisson nationale en lieu et place du raki, afin de former une "génération saine".
Ce discours, et la dénonciation régulière des "ivrognes", "n'a fait qu'exacerber les divisions socioculturelles et politiques qui assaillent la Turquie", note l'historienne Emine Evered, auteure d'un ouvrage récent sur l'alcool en Turquie depuis l'Empire ottoman.
Annonçant mercredi l'arrestation de plusieurs personnes soupçonnées d'avoir écoulé de l'alcool frelaté, le gouvernorat d'Istanbul a jugé sur un ton martial que "ceux qui causent la mort en produisant ou vendant de l'alcool contrefait ne sont pas différents des terroristes".