Le groupe Bayer au tribunal face à un enfant exposé in utero au glyphosate

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Bientôt "la fin d'un marathon" ? Après des années de procédure, les parents de Théo, 17 ans, affrontent jeudi en justice le géant de la chimie Bayer-Monsanto, dont ils accusent le produit phare, le glyphosate, d'être responsable des malformations congénitales de leur fils.
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"Première judiciaire" pour un enfant exposé in utero à ce produit, selon le couple, l'audience au civil se tiendra à Vienne, une commune du nord de l'Isère, près de laquelle réside la famille.

"C'est une étape décisive dans un processus qui a demandé des années de recherches, de formalisation et de procédures", souligne à l'AFP la mère de l'adolescent, Sabine Grataloup, 54 ans qui dirige une entreprise de voyage équestre. 

A la "fin de ce marathon judiciaire", poursuit-t-elle, "nous espérons que le lien de causalité entre le glyphosate et les malformations de Théo sera établi."

En août 2006, elle désherbe sa carrière d'équitation avec du glyphosate. Elle en utilise jusqu'à "trois fois par jour" alors qu'elle est "sans le savoir" enceinte de Théo de "quelques semaines", une période cruciale dans le développement du foetus. 

"Aucune information sur les bidons de l'herbicide ne faisait mention du caractère tératogène (ndlr : susceptible de provoquer des malformations) du produit", insiste Sabine Grataloup qui ne portait pas de protection particulière. 

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Trachéotomie

Théo naît en mai 2007 "avec l'œsophage et la trachée qui ne se sont pas séparés correctement". A trois mois, il doit subir une trachéotomie. Jusqu'à ses sept ans, il se nourrit à l'aide d'une sonde implantée dans l'estomac.

L'adolescent, qui a subi au total 55 opérations chirurgicales, respire et parle aujourd'hui "par un trou dans la gorge", faute de cordes vocaleses vocales, détaille Mme Grataloup.

"Nous ne voulons pas que cela se reproduise pour d'autres familles", souligne-t-elle.

En 2018, Sabine et son mari Thomas assignent la firme américaine Monsanto, qui a breveté le glyphosate dans les années 70 et vient d'être rachetée par le mastodonte allemand de la chimie Bayer, pour "recherche en responsabilité pour faute", rappelle leur avocat Me Bertrand Repolt.

Lors de l'audience jeudi, il demandera au tribunal "d'ordonner une expertise judiciaire contradictoire pour évaluer précisément tous les types de préjudice subis par Théo". Si elle établit le lien avec le glyphosate, l'avocat pourra formuler une demande de dommages et intérêts.

Pour l'heure, seul le Fonds d'indemnisation des victimes des pesticides, créé en 2020 par la Loi de financement de la Sécurité sociale, a reconnu le lien entre le handicap du jeune homme et l'exposition de sa mère enceinte à cet herbicide. 

Une indemnité de 1.000 euros mensuels est depuis versée à l'adolescent et doit être revue dans les semaines à venir au regard de l'évolution de sa santé, selon Mme Grataloup.

"Milliards de dollars"

Le glyphosate, herbicide le plus vendu au monde (800.000 tonnes en 2014), est classé en 2015 comme un "cancérogène probable" par le Centre international de recherche sur le cancer de l'Organisation mondiale de la santé.

Depuis fin 2018, le produit est interdit en France pour un usage domestique.

Son approbation en Europe a cependant été renouvelée en novembre 2023 pour 10 ans "sous réserve de certaines conditions et restrictions", indique la Commission européenne sur son site internet.

La décision fait suite à une évaluation scientifique qui n'a "pas mis en évidence de sujets de préoccupation majeurs" concernant le glyphosate sur "la santé humaine, les animaux et l'environnement", précise-t-elle.

Néanmoins, depuis le rachat de Monsanto, les soucis judiciaires et financiers pour Bayer se sont multipliés à travers le monde et notamment aux Etats-Unis. 

Le groupe a dû verser plus de 10 milliards de dollars en dommages et intérêts dans plus de 100.000 dossiers à cause du glyphosate, accusé d'avoir causé des cancers, ce que le groupe nie.

Contacté par l'AFP, le groupe Bayer n'a pas souhaité faire de commentaires avant l'audience.

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