Selon des médias, des douilles portaient les inscriptions "delay" (retarder), "deny" (refuser) et "depose" (poursuivre en justice), en référence aux tactiques que les assureurs santé sont réputés appliquer pour refuser des remboursements.
Ces refus, parfois pour des maladies graves comme des cancers, ne représentent qu'une partie des griefs à l'encontre d'entreprises vilipendées pour leur facturation opaque, leurs intermédiaires peu scrupuleux, leur jargon prêtant à confusion et la cherté des médicaments.
Les plus importants intermédiaires en matière de médicaments, les "Pharmacy benefit managers" (PBM), sont détenus par des assureurs santé.
Selon l'Association médicale américaine (AMA), les quatre plus grands PBM contrôlaient 70% du marché national en 2022: Caremark de la chaîne CVS Pharmacy, arrive juste devant Optum Rx de UnitedHealth Group et Express Scripts de l'assureur Cigna.
Son président, Bruce Scott, dénonçait en septembre "la faible concurrence" et appelait parlementaires et gouvernement à "protéger les patients".
Les assureurs santé occupent une place cruciale dans un système américain obnubilé par les bénéfices.
Entre un dispositif totalement privé et une organisation totalement étatique, le système américain est "davantage libéralisé que la moyenne", note Greg Shaw, professeur de sciences politiques à l'Illinois Wesleyan University.
Sa nature "hybride", associant gestion privée et publique, n'est pourtant pas son unique particularité: les Etats-Unis sont le seul pays développé à ne pas garantir le droit à la santé, relève-t-il.
La libéralisation du marché a servi de terreau à des assureurs comme UnitedHealth, qui a restitué à ses actionnaires près de 15 milliards de dollars en 2023. La veille du meurtre de Brian Thompson, le groupe anticipait un chiffre d'affaires d'au moins 450 milliards de dollars en 2025, soit presque 40% de plus sur trois ans.
Meli-Melo
Pour Greg Shaw, les assureurs sont entremêlés au système de santé américain depuis l'émergence du secteur dans les années 1920.
A l'époque, il s'agissait d'aider les hôpitaux face aux impayés et de faciliter l'accès aux soins. Après la Seconde Guerre mondiale, les entreprises en quête de personnel ont préféré offrir une couverture santé plutôt que des salaires supérieurs.
Aux garanties proposées par l'organisation à but non lucratif Blue Cross des débuts ont succédé, dans les années 1950, des groupes privés comme Aetna et Cigna.
"La nouvelle demande d'assurance santé a représenté une opportunité économique et lancé une industrie ayant des motivations différentes", a écrit la journaliste et médecin Elisabeth Rosenthal dans son ouvrage "An American Sickness" (2017).
Certains, à l'instar du sénateur de gauche Bernie Sanders, plaident pour un système entièrement public, mais aucune démarche visant à exfiltrer les assureurs du secteur de la santé n'a jamais été engagée.
La réforme, avortée, de Bill Clinton après son entrée à la Maison Blanche en 1992 préservait l'assurance santé privée. Barack Obama est parvenu à promulguer en 2010 l'Affordable Care Act - dite Obamacare - avec des mesures concernant les prix et de meilleures couvertures, mais sans toucher aux assureurs.
Joe Biden s'est concentré sur l'industrie pharmaceutique, la forçant à accorder des prix inférieurs au système fédéral d'assurance santé Medicare (pour les seniors).
Lina Khan, présidente de l'autorité de la concurrence, a lancé une "enquête inter gouvernementale" sur l'impact de "l'avidité des entreprises sur le système de santé". Mais elle cible surtout les sociétés d'investissements.
Une enquête YouGov en septembre a classé l'assurance santé en cinquième position des industries nécessitant, selon les Américains, d'être davantage régulées. Un sondage de ce même institut le 5 décembre, après le meurtre, a trouvé que 59% des personnes interrogées étaient "très satisfaites" ou "moyennement satisfaites" de leur assurance santé.
Pour Greg Shaw, le secteur va arriver dans la ligne de mire de l'administration dans un proche avenir à cause d'inquiétudes croissantes sur l'endettement médical des ménages.
"Je ne pense pas que (le meurtre) va provoquer une introspection de la part du secteur ou des régulateurs", relève-t-il.