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Procès de Mazan, un "catalyseur" qui pousse des hommes à la remise en question

Entre "inquiétude" à l'idée de s'exprimer en groupe et "prise de conscience brutale" dans le contexte du procès des viols de Mazan, ils sont huit à franchir volontairement à Nantes la porte d'un cercle de parole pour hommes, encadré par deux médiatrices féministes, pour parler de la violence masculine.
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Pour certains c'est une première, d'autres en sont à leur sixième fois. Pour Samuel, médecin de 42 ans, c'est la deuxième. "Je pense que le contexte du procès Mazan a un peu influé (…) et je voulais aussi désinvestir les femmes de mon entourage de la tâche de m'éduquer sur ces sujets-là", explique-t-il d'une voix basse lorsque vient son tour de se présenter.

Au milieu des chips et des bols de houmous, ces hommes âgés de 25 à 48 ans se passent la parole sans s'interrompre. Emmitouflés dans des plaids, ils discutent de la violence qu'ils ont en eux et interrogent celle qui infuse notre société au travers de films ou de musiques.

"On fait totalement partie du problème et maintenant qu'on le sait, c'est compliqué de rester inactif", explique Samuel, pour qui le procès Mazan a été un "catalyseur" et a provoqué "une prise de conscience brutale". 

Comme lui, la plupart des participants ont découvert l'existence de ces cercles sur Instagram, via "Nos alliés les hommes", un compte qui propose du contenu féministe et pédagogique aux hommes. 

Sa créatrice, Noëlla Bugni-Dubois, explique avoir d'abord été "très en colère contre les hommes", avant de se rendre compte qu'elle voulait les impliquer davantage dans ce combat pour l'égalité. Depuis quatre ans, elle répond dans ses publications à des questions telles que "faut-il couper les ponts avec un auteur de violences ?", "complimenter sans oppresser", "couper la parole, pourquoi et comment arrêter ?"


 Ni monstre, ni homme parfait

Depuis un an et demi, ces questions sont abordées de vive voix par des hommes au sein des cercles de parole qu'elle a mis en place en France, à Bruxelles et à Genève. Chaque mois, ils sont plus d'une centaine à y participer, "il y a une demande de dingue, tous les cercles sont complets, il y a des listes d'attente, je n'ai jamais vu ça !", relève Noëlla Bugni-Dubois.

Pour elle, l'actualité joue un rôle dans cet engouement. Entre accusations d'agressions sexuelles contre l’Abbé Pierre ou procès des viols de Mazan, le concept de "culture du viol" n'a jamais été aussi médiatisé. A l'ouverture du procès en septembre, cette expression a fait l'objet d'un nombre record de recherches sur Google.

L'ONU Femmes la définit comme "l’environnement social qui permet de normaliser et de justifier la violence sexuelle". Selon une enquête d'Ipsos avec l'association Mémoire traumatique et victimologie parue en 2019, 18% des Français et des Françaises jugent que, lors d'une relation sexuelle, les femmes peuvent prendre du plaisir à être forcées.

"Le procès Mazan est historique, j'ai l'impression que beaucoup d'hommes se sont vraiment questionnés sur ce qu'est la culture du viol", se félicite Noëlla Bugni-Dubois.

Sur Instagram, ses abonnés lui ont confié être "dégoûtés" ou avoir "honte", se demandant ce qui les différenciait des 51 hommes accusés d'avoir violé Gisèle Pelicot, inconsciente et droguée par son mari. 

Augustin, 25 ans, vient pour la première fois à un cercle et se dit "terrifié". "On insiste beaucoup en ce moment sur le fait qu'il n'y a pas des monstres et des hommes parfaits", explique-t-il, espérant que chaque participant se "dévoile" et partage des "moments où il n'a pas été parfait", "sans jugement". 

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 Changer de lunettes

"La culture du secret entre hommes ne permet pas de regarder en face les comportements problématiques de ses amis", lance Adeline Moreau, 40 ans, médiatrice bénévole du cercle de parole de Nantes, pour entamer un échange.

Deux participants affirment pouvoir depuis peu confronter leurs amis qui auraient un comportement sexiste ou déplacé. Un dialogue s'engage alors entre Samuel qui confie s’en sentir "complètement incapable" et Guillaume, 36 ans, cheveux longs attachés en chignon.

"En soirée un de mes potes était bourré et hyper insistant avec une pote en couple qui venait de nous annoncer qu’elle était enceinte. On est allé fumer une clope et je lui ai dit "tu merdes là". Il a arrêté et s'est excusé. Alors qu'avant j'aurais trouvé ça rigolo, je n'aurais rien fait."

Une culture du secret soulevée par l'affaire Mazan, dans laquelle deux hommes contactés par Dominique Pelicot, le mari de la victime, ont refusé ses sollicitations sans toutefois signaler ses agissements à la police.

"Au début je les excusais beaucoup", dit Guillaume, jugeant difficile "d'assumer fréquenter ce site (coco.fr, fermé par les autorités en juin, ndlr), destiné aux personnes qui ont des fantasmes un peu déviants".

Sa participation récente à plusieurs cercles lui a permis de "changer de lunettes", sans radicalement "changer (sa) vie". "Ca permet d'avoir les cartes et d'ouvrir une fenêtre mais il y a encore un énorme travail à faire. Il faut lutter contre un truc intérieur".

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