Procès Le Scouarnec: même sans souvenirs, on peut souffrir de troubles post-traumatiques

Crédit : Laura Beaudoin
Des victimes de violences sexuelles peuvent n'avoir conservé aucun souvenir et malgré tout souffrir d'importants traumatismes, ont expliqué lundi des experts au procès de l'ex-chirurgien Joël Le Scouarnec, jugé à Vannes depuis le 24 février pour des viols et agressions sur 299 patients. 
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La plupart des victimes étaient mineures au moment des faits et pour certaines inconscientes ou en phase de réveil.

Mais pour les trois experts cités comme témoins par un collectif d'avocats des parties civiles, "il n'est pas nécessaire de se souvenir pour souffrir de troubles post-traumatiques" durables, comme c'est le cas, à des degrés très variables, pour de nombreux plaignants.

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"Il est possible de savoir sans savoir, d'avoir des souvenirs et de les oublier", a résumé Thierry Baubet, psychiatre et expert en psychopathologie de l'enfant.

Avant l'âge de trois ans, les enfants ne peuvent tout simplement pas enregistrer des souvenirs mais "des traumatismes sont possibles, avec des conséquences très graves", insiste le Pr Baubet, qui co-dirige la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Civiise).

Et même plus vieux, "l'enfant n'a aucune connaissance ou compréhension de la sexualité d'un adulte": lors d'une agression sexuelle, "il ressent une grande confusion, une angoisse sans aucun sens".

"La plupart des agresseurs d'enfants leur disent qu’ils ont de bonnes raisons de le faire", souligne l'expert pour expliquer le fait que certains enfants n'ont pas été écoutés même lorsqu'ils ont alerté leurs parents. Depuis le début du procès, Joël Le Scouarnec, qui a reconnu en bloc tous les faits qui lui sont reprochés, a avoué qu'il faisait souvent passer ses violences sexuelles pour des gestes médicaux.

Ce n'est qu'après l'enfance, à partir de la puberté et parfois bien plus tard, jusqu'à la révélation des faits par les enquêteurs, que la victime pourra comprendre que ce qu'elle a subi "n'aurait pas dû arriver" et que cet événement prendra son sens traumatique.


Mémoire du corps


Même dans le cas des patients inconscients agressés au bloc opératoire ou en salle de réveil par l'ex-chirurgien de 74 ans, "la mémoire du corps" peut jouer, ajoute Jean-Marc Ben Kemoun, pédopsychiatre et médecin légiste.

"Le corps parle" et "moins nous sommes dans la conscience d’un événement douloureux ou stressant, plus son impact sur le corps sera fort", relève-t-il. 

Même en cas d'"amnésie traumatique", de sidération, la victime "coupe le contact mais le corps est toujours là, parfois il peut même se voir subir les faits", dit M. Ben Kemoun.

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Les symptômes physiques peuvent durer des années, voire des décennies, avant que cette "mémoire piégée, enkystée, n'explose" lorsqu'une situation viendra rappeler l'événement traumatique.

Dans le cas de nombreuses victimes de Joël Le Scouarnec venues s'exprimer devant la cour criminelle du Morbihan, cette révélation aura été une convocation par les gendarmes pour s'entendre lire les carnets où le pédocriminel consignait minutieusement les sévices infligés.

Plusieurs parties civiles ont critiqué la manière dont les enquêteurs ont annoncé les faits aux victimes, parfois par téléphone ou en présence de leur enfant.

Mais "le traumatisme c'est bien l'agression initiale, pas l'annonce par un policier", estime le Pr Baubet, qui parle de ""bombe à retardement".

Y a-t-il un risque que des plaignants qui ne se souvenaient de rien "reconstruisent" les faits à partir de ce qu'ils ont pu entendre durant l'enquête ou lire dans les carnets ?, demande une magistrate de la cour criminelle.

S'il y a bien selon les experts un processus de "reconstruction" inhérent au fonctionnement de la mémoire, il n'aboutit généralement pas à de "faux souvenirs", estime Hélène Romano, psychologue spécialiste en psychopathologie.

"Il y a tout un travail de mise en sens: les victimes prennent ce qui fait sens pour elles mais si ça n'a pas de sens, elles ne se l'approprient pas", explique-t-elle.

Le procès est prévu pour durer jusqu'à fin mai.

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