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Russie : condamné à 7 ans de prison pour un poème, sa femme en appelle aux gouvernements occidentaux

"J'ai peur qu'ils le tuent" : l'épouse d'un poète russe, agressé sexuellement par les forces de l'ordre et condamné à sept ans de prison pour avoir récité des textes antiguerre, appelle à de nouveaux échanges de prisonniers entre l'Occident et Moscou.
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En septembre 2022, Artyom Kamardin récite son poème, "Tue-moi, milicien!", condamnant l'invasion russe en Ukraine, sur une place de Moscou connue comme lieu de rassemblement des opposants depuis la fin des années 50.

En décembre 2023, il est condamné pour incitation à la haine et atteinte à la sécurité nationale. Un autre poète, Yegor Shtovba, âgé de 23 ans, a été condamné à cinq ans et demi de détention pour avoir assisté à la lecture publique.

M. Kamardin, 34 ans, a perdu son procès en appel en octobre, et doit être transféré dans un colonie pénitentiaire. Un lieu où les droits des prisonniers sont mis à mal, dénoncent les ONG de défense des droits humains.

En 2024, l'opposant Alexeï Navalny est mort, dans des circonstances troubles, dans une colonie pénitentiaire au-delà du cercle arctique. Ses proches accusent l'Etat russe de l'avoir éliminé.

"J'ai peur qu'ils le tuent", tremble aujourd'hui Alexandra Popova au sujet de son mari Artyom Kamardin. "Ils le traitent comme un prisonnier ukrainien", ajoute la jeune femme de 30 ans à l'AFP.

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"Torture"


Au lendemain de la lecture publique, des membres des forces de l'ordre ont fait irruption dans l'appartement du couple à Moscou, et ont battu et humilié les deux trentenaires.

Durant son arrestation, M. Kamardin a été agressé sexuellement avec une poignée d'haltère, une scène filmée par les agresseurs.

"Il y avait beaucoup de sang", raconte sa femme. Le poète a ensuite été contraint de s'agenouiller et de s'excuser pour son texte alors qu'il était toujours filmé.

Mme Popova affirme que les policiers l'ont menacée d'un viol collectif et ont traité le couple de "nazis".

L'arrestation de M. Kamardin et la "torture" qu'il a subie "sont horribles, même au regard des normes épouvantables en vigueur en matière de droits de l'Homme dans la Russie d'aujourd'hui", avait réagi Amnesty International.

"Dictature fasciste"


Le poème de Kamardin date de 2015 et s'en prend aux séparatistes pro-russes dans l'est de l'Ukraine, où la guerre a commencé en 2014.

"Tue-moi, milicien! Tu as déjà goûté le sang! Tu as vu comme tes frères d'arme creusent des fosses communes pour le peuple frère" (ukrainien), dit-il.

La poésie aide à réfléchir sur "la transformation de mon pays natal en une dictature fasciste", a expliqué Artyom Kamardin dans une déclaration en prison. "Je suis né dans une Russie libre. Ce pays n'existe plus, il a été tué et dévoré par le monstre qui se nomme désormais la Russie."

Selon Mme Popova, son mari a été prévenu : "Tiens-toi tranquille, ou ils te tueront".

Depuis l'invasion russe de l'Ukraine en février 2022, les médias indépendants ont été contraints de fermer, les associations de défense des droits humains ont été démantelées. Toute critique de la guerre est réprimée durement, les dissidents étant emprisonnés ou contraints à l'exil.

Alexandra Popova, membre d'un collectif de soutien aux prisonniers politiques russes, raconte le changement de son pays. 

"La société est devenue cruelle. Les gens se dénoncent entre eux", constate-t-elle.

Le chef du Conseil pour les droits humains du Kremlin, Valery Fadeyev, a toutefois démenti le mois dernier toute répression en Russie.

"Nous sommes en guerre contre l'Occident", a-t-il dit. "Des restrictions minimales contre ceux qui prennent le parti de l'ennemi ne sont pas de la répression, mais des mesures sanitaires", a-t-il justifié.

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Echange de prisonniers


Artyom Kamardin se plaint de problèmes physiques et mentaux depuis son agression, raconte son épouse, qui en appelle aux gouvernements occidentaux.

"Les gens meurent dans les prisons russes", lance-t-elle, demandant de nouveaux échanges de prisonniers entre la Russie et l'Occident.

Un échange historique en août dernier a permis la libération de 16 prisonniers détenus en Russie et au Belarus, en échange de 10 Russes incarcérés aux Etats-Unis et en Europe.

Parmi les détenus libérés figuraient des opposants russes célèbres comme Vladimir Kara Mourza ou Ilia Iachine.

Mais de nombreux autres dissidents, que Mme Popova qualifie de "victimes de guerre", croupissent encore dans les geôles russes.

En juillet, Pavel Koushnir, un pianiste de 39 ans opposé à la guerre en Ukraine, est mort en détention à Birobidzhan, près de la frontière chinoise. En avril, Alexandre Demidenko, bénévole de 61 ans aidant les réfugiés ukrainiens, est décédé en prison à Belgorod (Sud).

"La seule chance de sauver les gens est par l'intermédiaire d'échanges de prisonniers politiques", insiste Mme Popova, qui vit toujours en Russie et refuse de s'exiler pour ne pas s'éloigner de son mari.

"Je dois être près de lui", dit-elle.

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