Dans la petite commune de Châtenoy, située au coeur de la forêt d'Orléans dans le Loiret, la plupart des habitants ne peuvent plus consommer l'eau du robinet, comme Emilie Hue et son mari: indétectable à l’oeil nu, un gaz la rend impropre à la consommation.
C'est le chlorure de vinyle monomère (CVM), présent dans les canalisations d'eau potable en PVC installées dans les années 70 et classé cancérogène "certain" depuis 1987, qui a totalement modifié leur quotidien, jusqu'à ne plus utiliser l'eau courante pour cuire des pâtes ou pour leur machine à café.
"Depuis trois ans, et peut-être depuis plus longtemps, notre eau est impropre et dangereuse pour nous et notre fille, mais nous continuons de la payer !", s'insurge Emilie Hue.
Depuis "des mois", ils essaient "de faire bouger les choses, sans succès", alors ils viennent de déposer un recours devant la justice, lassés des "promesses" de travaux sans effet du Syndicat intercommunal d'adduction d'eau potable (Siaep), qui alimente Châtenoy et deux autres communes.
"Abandonnés"
"Ce recours, une première en France, vise à faire reconnaître la responsabilité de l'Etat, les négligences fautives du ministère de la Santé, mais aussi faire reconnaître le préjudice de ces usagers qui se sentent abandonnés", a déclaré à l'AFP Me Gabrièle Gien, leur avocate, spécialisée en droit de l'environnement.
Selon Me Gien, "on leur a caché l'information pendant longtemps que leur eau n'était pas potable, alors même qu'une directive européenne de 1998 fixe à 0,5µg/l la valeur de CVM à ne pas dépasser". Une valeur "jamais respectée alors même que l'Etat devait se mettre en conformité dès 2003", dit-elle.
Des actions ont aussi été menées contre les gestionnaires d'eau, notamment pour un manque d'analyses.
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Dans le village du couple, à Châtenoy, il a par exemple fallu attendre 2023 pour que l'eau soit déclarée impropre à la consommation, alors que des traces de CVM avaient été relevées dès 2014.
Mais la liste des communes s'allongent à mesure que l'affaire prend de l'ampleur: le chercheur Gaspard Lemaire, doctorant au sein de la chaire Earth du Centre Jean-Bodin et notamment enseignant en droit de l’environnement à Sciences Po, évoque lui "un scandale sanitaire majeur" et "plusieurs centaines de milliers de personnes concernées".
"Il y a un risque, il y a une connaissance du risque, et il y a une absence de communication ou des discours trompeurs au sujet de ce risque", résume M. Lemaire, qui a notamment utilisé les données des Agences régionales de Santé (ARS) pour publier un article académique sur le sujet.
Loin du Loiret, il affirme qu'il "y a deux régions où c'est critique, c'est la Normandie, où là tous les départements sont touchés de façon significative et la Nouvelle-Aquitaine".
Rien que pour le département de la Dordogne, plus de 1.000 cas de dépassements des taux autorisés ont été relevés, selon les données.
"Risques minimisés"
A l'échelle de la France, "ce sont des centaines et des centaines de kilomètres qui sont concernés", affirme le chercheur. "En France, le réseau fait 900.000 kilomètres au total, on peut dire qu'entre 15 et 30% du réseau est contaminé".
Pour le ministère de la Santé, "seuls des travaux sur les canalisations concernées permettent de garantir une conformité durable vis-à-vis du CVM", écrit-il sur son site internet. Les purges étant des solutions "temporaires".
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Mais selon le chercheur, "les risques sont évoqués, mais sont minimisés en même temps, parce que le ministère dit que ces risques sont théoriques, ce qui est faux, qu'il n'y a pas eu d'analyse empirique, ce qui est faux" et "rien n'a été fait".
Pour Me Gabrièle Gien, ces problèmes de conformité et de pollution "durent depuis des années et touchent une large part des populations rurales en France". Elle a d'ailleurs lancé une plateforme nationale pour recenser d'autres victimes, possiblement "partout en France".