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4 effets du confinement sur votre cerveau

"Le confinement, la privation de contact social est une forme de jeûne." 4 effets du confinement sur votre cerveau.
Publié le
07
/
05
/
2020

Quatre effets du confinement sur votre cerveau


L’isolement comme l’incertitude et l’insatisfaction modifient le fonctionnement de notre cerveau. Explications de Sébastien Bohler, rédacteur en chef de la revue « Cerveau & Psycho ».


En cette période de confinement, beaucoup rêvent d’aller prendre un verre, de voir leurs amis, de faire un peu de shopping… Et le sentiment de frustration est tangible. Sébastien Bohler, journaliste et rédacteur en chef de la revue Cerveau & Psycho, explique à Brut comment cet isolement influe sur le fonctionnement de notre cerveau.


1 - Le manque de contact social


Durant cette période de confinement, une partie de notre cerveau est fortement stimulée : l'aire tegmentale ventrale. Cette zone s'active aussi bien quand on a été privé de contact social pendant une journée que lorsqu’on a été totalement privé de nourriture. Autrement dit, le confinement est une forme de jeûne. Ce n’est pas un jeûne de nourriture, mais un jeûne social.


Pendant la période paléolithique, dans des situations hostiles, l’être humain ne pouvait se nourrir qu’en chassant en groupe et en coopérant. Seuls les cerveaux dotés d'une envie de coopérer étaient avantagés pour survivre, ce qui explique que ce moteur du désir dans notre aire tegmentale ventrale s'allume en situation de confinement : elle crie à l'aide. Elle demande de la coopération et de la socialisation.


Cela signifie que les rapports sociaux sont essentiels à notre survie, et ça, depuis très, très longtemps. C'est gravé dans nos neurones. On en a absolument besoin, donc on va mobiliser cette partie de notre cerveau qui crée un désir. C’est-à-dire créer un désir de tout ce qui nous a aidé à survivre : manger et coopérer. Si on est privé de contact social, le risque, c'est de se rabattre vers de la nourriture ou de la consommation compulsive, addictive.


2 - Le manque de contact physique


Ceux qui ont la malchance d'être confinés seuls se plaignent justement de ne plus voir un visage réel, ne plus entendre une voix réelle. La présence d'une personne en chair et en os n'est pas remplacée par le numérique. Un aspect crucial de ce point de vue-là, c’est le toucher. La souffrance liée à la solitude est très bien compensée par un contact physique : quelqu'un qui vous sert l'avant-bras, la main, qui passe une main sur votre épaule, qui vous sert dans ses bras…


Énormément d'expériences ont montré que cela fait reculer le sentiment d'angoisse. Parfois, cela fait même reculer la douleur physique. Des expériences montrent par exemple que si vous êtes soumis à des électrochocs et que vous avez la possibilité de tenir la main d'une personne qui vous est chère, la perception de la douleur diminue.


3 - Les désirs bridés


Dans cette situation de confinement, on ne peut pas satisfaire les désirs de base de notre cerveau, notamment au niveau de la socialisation. On ne peut pas non plus aller acheter tout ce qu'on veut dans le commerce. On ne peut pas bouger librement, on ne peut pas voyager. Il faut quelque part brider ses désirs profonds.


Pour brider cette activité du désir de base, il faut utiliser une partie plus évoluée de notre cerveau où siège la volonté, le contrôle de soi : le cortex préfrontal. En cette période de confinement, pour se forcer à aller contre nos désirs spontanés, on fait fonctionner à plein régime notre cortex préfrontal, et on est obligé de consommer beaucoup d'énergie à ce niveau-là.


Mais il y a un risque à force de lutter par la force de la volonté et du cortex préfrontal contre l'aire tegmentale ventrale. Au bout d'un moment, la force de la volonté s'épuise, et on craque. Finalement, on donne libre cours à ses désirs, qui utilisent une molécule – la dopamine – qui nous donne du plaisir. À ce moment-là, par exemple, on fait des orgies de séries télévisées ou on mange beaucoup trop de nourriture grasse et salé.


En revanche, il y a aussi un aspect positif : en faisant régulièrement fonctionner notre cortex préfrontal de cette façon, ils se muscle, il se développe. Il retrouve une capacité d'autocontrôle qui a peut-être été sous-exploitée dans un monde où on pouvait satisfaire nos désirs librement.


Nous avons été habitués à avoir tout facilement. Lorsqu’il faut renoncer à un certain nombre de facilités, c'est difficile. C'est une leçon intéressante, parce que le confinement est une métaphore de la situation de l'humanité vis-à-vis de sa planète


4 - L’incertitude


Un des aspects les plus difficiles à vivre aujourd'hui, c'est l'incertitude. Le fait de ne pas savoir combien de temps cette situation va durer, de ne pas savoir si l'épidémie sera surmontée, de ne pas savoir si nos proches seront touchés. L'incertitude est quelque chose de très difficilement gérable par le système nerveux humain. L'être humain est câblé pour essayer de maîtriser son environnement.


C'est un peu ce qui a fait le drame de notre civilisation. On a tout maîtrisé au point de tout contrôler, d'abîmer la nature et de trop consommer. Si bien qu’on a aujourd’hui une société très vulnérable aux épidémies. Nous aimons savoir ce qui va arriver et le contrôler. Mais là, nous ne contrôlons plus rien. Nous avons une sorte de blessure, de faille à notre délire de toute-puissance. On se sent désarmé.


L'incertitude libère des hormones de stress, elle crée une angoisse, parfois une angoisse existentielle. Face à ça, nous sommes équipés différemment selon notre tempérament. Il y a des personnes qui tolèrent très bien l’incertitude, qui peuvent admettre de ne pas savoir de quoi demain sera fait. Ces personnes sont parfois dans un excès d'insouciance. On peut les retrouver dans les parcs, ou en train de nier le fait qu'on soit face à une situation très critique. De l'autre côté, vous avez des personnes qui ne tolèrent aucun niveau d'incertitude, qui veulent tout contrôler. Ceux-là, ils se jettent sur les pâtes et le papier toilette.


Avoir un niveau intermédiaire de tolérance à l'incertitude


Il faut avoir un niveau de tolérance à l'incertitude intermédiaire. Malheureusement, ça ne se maîtrise pas entièrement. On naît avec des gènes qui nous prédisposent à ça, ou non. On peut tout de même, par une hygiène de vie personnelle et une hygiène mentale, mieux tolérer l'incertitude. La première façon de le faire, c'est de bien distinguer l'incertitude qui dépend de nous et celle qui ne dépend pas de nous.


Dans une pandémie, il y a des choses qui ne sont pas de notre ressort. Ce qui se passe à l'échelle de la planète, la propagation du virus, la façon dont l'économie va se relever ou non, il est inutile de se dire qu'on va arriver à modifier ça. Une fois qu'on sait que ce n’est pas de notre ressort, il est inutile de s'en préoccuper, donc c'est une part d'incertitude qu'on peut ranger dans un tiroir.


En revanche, il y a une incertitude qui est de notre ressort. Si je me dis que je vais rester confiné sérieusement, que j'ai observé les gestes barrières, que je ne devais pas voir des personnes vulnérables, j'ai un levier d'action direct sur le réel. Ce levier d'action, il satisfait le besoin de contrôle et de balisage du réel par notre cerveau, donc cette partie de l'incertitude est de nouveau sous contrôle.


Fermez les yeux et imaginez-vous sur un lit de réanimation


Ça, c'est la méthode stoïcienne. Elle marche très bien et elle correspond aux besoins de notre cerveau. Il y a une autre technique psychologique qui marche assez bien, c’est la soustraction mentale. Simplement changer de point de vue sur le réel. Si vous êtes dans une situation que vous jugez pénible, vous pouvez remettre les choses en perspective par un moyen simple.


Fermez les yeux et imaginez-vous pendant 30 secondes sur un lit de réanimation en détresse respiratoire, sous intubation. Vous ne savez pas si vous allez vous en sortir et vous ne savez pas si vous allez revoir vos proches. Là, c'est une incertitude profonde qui touche aux racines de votre être, qui vous remet en danger de façon viscérale.


Rouvrez les yeux. Là, vous vous rendez compte que vous êtes chez vous, que vous respirez normalement, que vous n'êtes pas malade, que vous pouvez vous lever, ouvrir le frigo, prendre à manger, organiser un repas avec votre famille. Et d'un seul coup, ce qui vous apparaît pénible vous apparaît d'un certain point de vue comme une chance.