Cette vidéo sera publiée prochainement
Filmer sa vie plutôt que de la vivre, par Raphaël Enthoven – Brut Philo
“On ne peut pas vivre une expérience et la penser en même temps”
“Il y a une métaphore sublime de Vladimir Jankélévitch qui parle d'un papillon. Le papillon tourne autour de la flamme d'une bougie. Il ne risque rien tant qu'il est à une certaine distance de la flamme et il peut voir la flamme. Cependant, le drame du papillon, c'est qu'il voudrait sentir la chaleur de la flamme au lieu de la regarder” explique Raphaël Enthoven, professeur de philosophie.
Que dit notre rapport à notre visage à l'heure des réseaux sociaux ?
“Pour y parvenir, le papillon doit s'en rapprocher, mais il sent bien qu'il risque de se brûler les ailes s'il se rapproche trop. La conclusion que tire Jankélévitch de cette métaphore que l'on ne peut pas être et savoir en même temps. On ne peut pas vivre une expérience et la penser en même temps. On ne peut pas se regarder faire et vivre la chose en même temps. Quand on est pris par le feu, on doit se laisser porter. La morale de cette histoire, c’est qu’on ne peut pas être et savoir en même temps mais qu’on en a toujours la nostalgie”.
Qui suis-je sur les réseaux sociaux ?
“Pour être, il ne faut pas se regarder faire”
Concerts, matchs sportifs… Nombreux sont ceux qui filment l'événement qu’ils vivent plutôt que de le regarder eux-mêmes. “Les gens qui filment ce moment sacrifient l’expérience qu’ils pourraient faire à la possibilité de dire qu’ils étaient là” affirme Raphaël Enthoven avant d’ajouter: “Le résultat est un déni du présent, car l'intention, c’est de garder l'événement dans le passé, dans la mémoire donc de le filmer pour cette raison là et dans un même temps, de le voir via son téléphone, donc à distance. Donc ils sont privés de vivre la chose par le goût de s’en souvenir”.
Existe-t-il une seule vérité ? Brut philo
“Il est plus difficile dans la vie de vivre les choses, que de se filmer en train de les vivre. La vraie difficulté dans la vie, c’est l’étonnante simplicité qu’il faut avoir, pour vivre ce qu’on vit. Pour dormir quand on dort. Pour réfléchir, quand on pense. C’est-à-dire pour être le contemporain de soi-même. Et pour l’être, il ne faut pas se regarder le faire. Car si vous le faites, vous perdez la main sur ce que vous faites. Comme le funambule qui tombe car il se demande ce qu’il est en train de faire. Tout ce qui demande la conscience de soi est un frein à l’action. Alors que l’oubli du moi dans l’action est ce qui permet d’agir” conclut le professeur en philosophie.
