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Comment fait-on la fête aujourd'hui ? Par Thibaut de Saint Maurice – Brut Philo

"Les nouvelles générations aiment inventer leur propre manière de faire la fête, avec des transgressions et des codes nouveaux." BRUT PHILO. Fait-on la fête différemment aujourd'hui ? Pour le philosophe Thibaut de Saint Maurice, oui, et voici pourquoi, selon lui, les réseaux sociaux l'ont enrichie…
Publié le
22
/
07
/
2023

La fête aujourd’hui est davantage liée à des formes d'affirmation d'identité”


Thibaut de Saint Maurice est professeur de philosophie. Pour Brut, il s’intéresse à l’évolution des rapports à la fête en France. “Je pense qu'il y a deux nouveautés vraiment caractéristiques de notre époque aujourd'hui” affirme le professeur de philosophie avant de développer : la première, c’est que “beaucoup de fêtes commencent sur les réseaux. Elles sont annoncées, teasées, préparées. Pendant qu'elles ont lieu, elles sont documentées par de la story, de la photo, des posts, des partages de vidéo, etc. Et ensuite leur mémoire est entretenue quelque temps à travers aussi les réseaux. Une première caractéristique qui est importante, c'est le fait que la fête, aujourd'hui, n'est plus simplement le temps vécu et partagé ensemble, mais, parce que je pense que c'est une richesse, s'enrichit d'un temps plus long de préparation et de diffusion.

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La seconde caractéristique que Thibaut de Saint Maurice a identifiée est la suivante : “La fête aujourd’hui est peut-être davantage liée à des formes d'affirmation d'identité. Elle est peut-être de moins en moins liée à des rituels de calendrier ou un peu obligatoires : la fête de village, la fête de l'été, etc. Et elle vient davantage exprimer l'identité d'un groupe, d'une communauté. Aujourd'hui, par exemple, il y a un vrai sujet sur les questions de genre et les rapports genrés à la fête : comment faire en sorte que la fête soit vraiment égale quand on est un homme, ou quand on est en transition, etc. Parce qu'on s'est rendu compte que, en fait, ce n'étaient pas toujours des situations très safes, par exemple, pour les femmes dans des fêtes on n'avait pas le même rapport à la fête. Et donc se pose la question de : comment est-ce qu'on peut réinventer des fêtes qui soient justement en avance sur la société, qui soient des laboratoires d'invention et de production de sociabilité. Il y a cette envie de pouvoir faire la fête, oui, mais en toute sécurité et à égalité.

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Les boîtes de nuit remplacées par des “tiers-lieux


Pour Thibaut de Saint Maurice, les nouvelles générations “aiment inventer leur propre manière de faire la fête, avec des transgressions nouvelles, des codes nouveaux qui permettent de se reconnaître, d'appartenir, mais aussi, finalement, de profiter d'un plaisir un peu singulier qui est d'avoir l'impression de faire la fête différemment des générations précédentes et donc d'être dans une forme plus avancée, on pourrait dire, de fête”. L’un des éléments qui a fondamentalement changé avec la génération précédente est le rapport aux discothèques, aux boîtes de nuit. “Aujourd'hui, il y en a moins qu'avant. C'est difficile aujourd'hui pour la boîte de nuit, parce qu’au fond elle a une dimension qui est, antidémocratique, c'est-à-dire qu'il y a une sélection à l'entrée et c'est très compliqué, en fait, de faire d'une fête ou en tout cas de penser la fête avec, dès le départ, cette idée d'une sélection. Ce qui est intéressant, c'est que, parallèlement à cette petite baisse de régime des boîtes de nuit, il y a des lieux qui montent très fort, qui sont ce qu'on appelle ces tiers-lieux, ces endroits où on vient passer peut-être une fin d'après-midi, boire un verre et manger un morceau avec ses amis, et puis il y a un concert qui commence, et puis, un peu plus loin, il y a un DJ qui vient, et puis d'autres qui vont continuer à jouer aux cartes ou à faire des jeux de société sur une table, etc. Et dans ces tiers-lieux-là diffuse, en fait, une festivité un peu différente, un peu nouvelle, beaucoup plus ouverte, peut-être plus inclusive et avec un pluralisme démocratique qui est plus affirmé et qui, sans doute, correspond mieux à la sensibilité et aux attentes de notre époque.”

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Pour le professeur en philosophie, peu importe l’époque et la manière de faire la fête, “il y a toujours de la place pour faire la fête dans une société. La fête, c'est hyper important, parce que c'est le moment où dans les sociétés, les individus renouent les liens entre eux. Il y a toujours cette dimension très fortement collective de la fête. Il n'y a rien de plus sérieux, en un sens, que la question de la fête, que ces moments-là, en tout cas, qui doivent faire l'objet d'une réflexion collective, voire même d'une sorte de politique de la fête, dans laquelle on se poserait collectivement la question de savoir comment est-ce qu'on la vit ensemble, comment est-ce qu'on la rend la plus sûre, plus inclusive, plus joyeuse, pour ne pas qu'elle soit le privilège toujours des mêmes, de ceux qui ont les moyens, de ceux qui ont le pouvoir, de ceux qui ont les responsabilités, etc”.