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Covid-19 : la vague psychiatrique
Immersion en psychiatrie dans le 93
Notre reporter Camille s’est rendue dans les services psychiatriques de Seine-Saint-Denis, qui font face à une nouvelle vague de patients directement liée à la crise du Covid-19.
Depuis plusieurs années déjà, les professionnels de la psychiatrie alertent sur le manque de moyens du secteur, encore plus criant que dans le reste de l’hôpital public, lui aussi en crise. Mais rien n’y fait : les équipes continuent à travailler à flux tendus et en sous-effectifs, avec des patients parfois très difficiles à gérer.
Et le Covid-19 n’a rien arrangé… Depuis le début de l’épidémie, les hôpitaux psychiatriques doivent accueillir une vague de nouveau patients. Notre reporter Camille a pu suivre le psychiatre des hôpitaux Fayçal Mouaffak et ses équipes.
« Certains affirment avoir découvert un remède contre la maladie »
« *On a vu arriver un nombre important de patients présentant de premiers épisodes psychotiques, raconte le Dr Fayçal Mouaffak. Certains affirment avoir découvert un remède contre la maladie. D'autres sont persuadés que le virus circule sur leur peau. D'autres viennent nous dire qu'ils sont à l'origine de l'épidémie. »
L’un d’entre eux, arrivé depuis peu, prétend qu’il a pour mission de sauver le monde. Pour ce faire, avant son hospitalisation, il a créé un site Internet où il dénonce des complots d'État. Il affirme également entendre des messages qui lui sont adressés personnellement dans certains morceaux de rap français.
« Avec le confinement, d'un coup, toute leur vie est bouleversée »
Pour ce type de patients, une sortie de l’hôpital est inenvisageable sur le court terme. « Ça fait longtemps que ce patient ne répond pas au traitement. On ne peut pas le décontentionner durablement puisqu'il a des états d'agitation et il se fait mal en tapant très fort », déplore le Dr Mouaffak.
Pour lui comme pour d’autres patients présentant des profils similaires, le confinement a certainement joué un rôle très important. « Ils se sont retrouvés confinés, limités dans leurs mouvements, alors qu'auparavant, ils arrivaient à s'équilibrer en évoluant à l'extérieur, dans la cité, ou en ayant une petite activité qui les structurait. Et d'un coup, toute leur vie est bouleversée », explique le psychiatre.
« On a toujours peur de ce qu'on ignore »
« Quand on est enfermé... On a de quoi être révolté ! Je ne suis pas vraiment malade. Je me sens en pleine forme ! Au premier jour c'est bien, mais après, tu as la tristesse. Dehors tu es libre, tu peux aller où tu veux », témoigne un patient. « Moi, mon rêve c'est de me marier, de faire des enfants et d’avoir du pognon. Je n’ai pas envie d'être ici ! Je veux aller à la plage, à la mer ! Me balader avec les baleines ! » déclare un autre.
Selon le Dr Mouaffak, les maladies psychiatriques restent un sujet difficile à aborder car la maladie mentale est éminemment complexe. « On a toujours peur de ce qu'on ignore. Avoir un jeune qui ne travaille pas et qui passe le plus clair de son temps dans un hôpital de jour, ce n'est pas toujours compris par les familles. Il faut leur expliquer qu'il n'est pas en état de reprendre un travail, qu'il va falloir l'accompagner, qu'il va falloir le réhabituer à la vie, le réadapter à la relation », développe le médecin.
« Il n'y a plus assez de place pour recevoir tous les malades dans de bonnes conditions »
En Seine-Saint-Denis comme dans beaucoup d'autres endroits en France, les services psychiatriques sont débordés depuis des années. Et avec la crainte du Covid-19, leur mission est devenue quasi impossible. « C'est simple, il n'y a clairement plus assez de place pour recevoir tous les malades dans de bonnes conditions », résume le Dr Mouaffak.
En moyenne, dans cet établissement, les équipes ont environ huit patients à gérer. À l’heure du Covid-19, ce chiffre a presque doublé. « On en a même trois fois plus qu'en avril 2019. Mais notre limite c'est le manque de lits imposé par le confinement. On ne va pas tarder à avoir de gros soucis ! », s’inquiète le psychiatre. Aujourd’hui, pour obtenir plus de moyens, les équipes sont obligées de solliciter les autres services en permanence. « On les appelle, on les rappelle, ça crée des conflits. On est en échec ! » s’alarme le Dr Mouaffak.
D’après lui, les personnels hospitaliers sont progressivement en train de se transformer en « bed managers », ou gestionnaires de lits. « Ils peuvent passer plusieurs heures à essayer de trouver des solutions, à essayer de créer des lits qui n'existent pas. C'est extrêmement frustrant parce que ce qu'on souhaite, c'est accueillir les patients dans des conditions dignes. C'est un dévoiement de notre pratique », constate le médecin, amer.