Le soir du 3 janvier 2021, seul et désarmé, Kevin G., 26 ans, avait reçu 14 coups de batte de baseball enroulée de fil barbelé et 35 coups de couteau, dont un - mortel - dans la cuisse. Le déchaînement de violence avait été filmé par les caméras de la ville de Saint-Ouen, aux portes de Paris.
À l'issue de deux semaines et demie d'audience, la cour d'assises a condamné Chakibe Abzar et Karim Lmghari, les deux seuls à avoir reconnu avoir porté des coups, à 17 et 19 ans de prison pour ce que le président a décrit comme un "lynchage" dans le cadre d'une "justice de rue".
Le frère de Chakibe Abzar, Hichem, contre lequel le parquet avait réclamé 27 ans de réclusion en estimant qu'il était la personne encagoulée portant des coups de couteau sur la vidéosurveillance, a été acquitté au bénéfice du doute.
Soupçonnés de complicité de meurtre, les quatre autres accusés ont également été acquittés faute de preuves.
Ce verdict est un revers pour le ministère public qui avait requis des peines de 10 à 27 ans de réclusion à l'encontre des sept accusés ayant agi dans un "effet de meute", selon le réquisitoire.
Pour l'accusation, le meurtre du dealer Kevin G. est le résultat d'une "expédition punitive" ciblée, menée par des "seconds couteaux" du trafic de drogue à Saint-Ouen.
Le "vulnérable" dealer Kevin G. aurait tenté de reprendre un point de vente, en demandant de l'aide à El Mehdi Zouhairi, gros narcotrafiquant de la cité rivale des Boute-en-Train de Saint-Ouen. Surnommé le "Gros" ou "Malsain", celui-ci est actuellement en fuite au Maroc et a été condamné en son absence en 2023 à 10 ans de prison dans un autre dossier.
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Climat de peur
Pour le ministère public, ce rapprochement de la victime aurait, aux yeux des accusés, constitué "une alliance impardonnable", Zouhairi étant le commanditaire présumé de l'assassinat en 2019 d'un autre parrain du narcotrafic à Saint-Ouen, Mohamed Gacem dit "Cyborg". Ce dernier dossier n'a pas encore été jugé à ce jour.
"Nous n'avons pas été en mesure de savoir quel a été le mobile déterminant de l'agression. Est-ce lié à du trafic de drogues ou pas ? Nous avons été incapable de le confirmer ou de l'infirmer", a précisé le président Marc Sommerer en rendant le verdict.
La défense a largement dénoncé ce scénario et soutenu la thèse d'une "rixe" sans lien avec le deal, entre jeunes ayant grandi dans la "violence" de Saint-Ouen.
"C'est une génération qui se retrouve entre elle, qui parfois se pousse vers le haut, parfois vers le bas. Et ce soir-là Karim Lmghari a été entraîné vers le bas. Vers les rixes, les règlements de comptes. Quand on nous dit +on y va+, on y va, on va se battre", avait décrit l'avocate d'un des accusés, Me Sevim Kasay.
Débuté le 25 février, ce procès a été marqué par l'absence de plusieurs témoins, dont trois ont été condamnés à 1.000 euros d'amende pour non-présentation à la cour, et les dérobades à la barre de ceux présents, dans une lourde atmosphère d'omerta.
"On n'est pas à Palerme ni à Naples, ce n'est pas la mafia, mais on a des témoins qui ne viennent pas ou qui ne disent rien tellement ils ont peur", a regretté le président au cours des débats.
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