Devant les bureaux du service de la préfecture désespérément clos, le jeune homme de 23 ans, Congolais d'origine, n'a qu'une idée en tête: rejoindre Paris. "Ça fait cinq fois que je viens mais c'est toujours fermé", regrette Fred Mugisha, à Mayotte depuis deux ans.
Le service de la préfecture est fermé depuis mi-octobre. "Cette année, il n'est resté ouvert que trois à quatre mois", assure Daniel Gros, représentant de la Ligue des droits de l'Homme (LDH).
Depuis le passage dévastateur du cyclone Chido mi-décembre, "le service habituel n'a pas repris", confirme la préfecture.
Avant cela, l'entrée du "bureau des étrangers" était resté bloquée pendant deux mois par des membres du collectif de citoyens Mayotte 2018 pour protester contre l'insécurité, après la diffusion d'une vidéo montrant l'agression à la machette d'une femme dans sa voiture, à Koungou. "Des violences liées à l'immigration clandestine", selon Safina Soula, la présidente du collectif, qui souhaite "qu'on arrête de régulariser les clandestins".
Pour se faire entendre, les actions du collectif de citoyens Mayotte 2018 se multiplient ces dernières années. En juillet 2023 déjà, le service de délivrance des titres de séjour avait été bloqué pendant un mois et demi pour protester contre "le titre de séjour territorialisé", empêchant ses détenteurs de rejoindre l'Hexagone ou un autre territoire d'outre-mer.
Puis en mai 2024, le collectif s'était à nouveau réuni pour paralyser le service étatique afin de demander l'expulsion des réfugiés d'Afrique des Grands Lacs, nombreux à être arrivés à Mayotte via une nouvelle route migratoire au départ de la Tanzanie.
"On veut qu'ils retournent dans leur pays d'origine et si ce n'est pas possible qu'ils rejoignent la France métropolitaine. Nous ne leur avons pas demandé de venir ici, on ne peut pas accueillir tout le monde", tempête Safina Soula pour qui les blocages organisés par son collectif ne freinent pas les départs. "C'est un prétexte", estime-t-elle.
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"Tolérance" de l'Etat
Ces blocages sont "tolérés par les services de l'État", se désole Daniel Gros, et "aggravent considérablement les retards".
Alors que 35.000 titres de séjour sont en moyenne délivrés chaque année par la préfecture, des milliers d'étrangers se retrouvent ainsi en situation irrégulière. Au prix parfois de leur emploi. "Un jeune homme que je connais a récemment perdu son job dans une boulangerie car son titre de séjour n'a pas été renouvelé", assure Daniel Gros.
En août dernier, Sarah (prénom modifié), 27 ans, née à Mayotte et mère de six enfants français, était envoyée aux Comores. "J'étais dans un taxi, on arrivait à Mamoudzou", raconte-t-elle à l'AFP. "J'ai montré les papiers de mes enfants et mon acte de naissance. Mais les policiers m'ont emmenée."
La jeune femme a été déposée au centre de rétention administrative, en Petite-Terre. Le sas de sortie du territoire, pour les expulsés du 101e département français.
Deux jours plus tard, elle montait à bord du navire "Le Maria Galanta" pour un aller simple à Anjouan, l'île voisine, distante de 70 kilomètres de Mayotte. Le début du cauchemar pour la jeune femme qui n'avait, jusque-là, jamais quitté Mayotte.
"J'étais totalement perdue, je ne connaissais personne sur place", confie Sarah, partie sans un sou et qui a pu être hébergée chez une femme rencontrée sur le port. "Mes enfants me demandaient chaque jour quand j'allais rentrer, je n'arrêtais pas de pleurer, je n'arrivais plus à manger", poursuit celle qui a, depuis, réussi à revenir à Mayotte.
"La situation de Sarah n'est pas régularisée car son acte de naissance a été perdu par le service d'état civil de la mairie", explique Daniel Gros, qui a suivi le dossier de la jeune femme. Sans le précieux sésame, impossible de faire une demande de titre de séjour. Sarah a depuis récupéré le document mais est désormais dans l'attente d'une convocation au sein du bureau des étrangers pour obtenir ses papiers.
Pendant ce temps-là, à Mayotte...