L'inéligibilité, obligatoire ou pas
Il y a semble-t-il eu un très gros malentendu au procès du Rassemblement national. Jusqu'à mercredi dernier et après six semaines d'audience, la défense de Marine Le Pen semblait convaincue qu'elle n'était pas concernée par la loi rendant obligatoire, automatique, la peine complémentaire d'inéligibilité de cinq ans en cas de condamnation pour détournement de fonds publics (elle était auparavant facultative).
Ce caractère obligatoire, que la défense de la triple candidate à la présidentielle datait à 2017, remonte en fait à la loi dite "Sapin 2", entrée en vigueur le 11 décembre 2016, comme l'a rappelé le parquet mercredi. Soit, à 20 jours près, dans la période des faits reprochés à Marine Le Pen (2011-2016).
"Vous comprenez bien que dans le cas qui me concerne, une automaticité a évidemment des conséquences extrêmement graves", a réagi Marine Le Pen à la barre. "Cela aurait pour effet de me priver d'être candidate à la présidentielle, voilà".
Si le tribunal reconnaissait Marine Le Pen coupable de détournement de fonds publics, il pourrait cependant, "par une décision spécialement motivée", décider de ne pas la condamner à une peine d'inéligibilité.
Au vu des enjeux dans cette affaire, on peut imaginer que le tribunal comptait de toutes façons motiver une telle décision, dans un sens ou dans l'autre.
C'est qui, Marine Le Pen ?
Condamnation, appel et pourvoi en cassation
Si Marine Le Pen est condamnée à l'issue de ce procès, il est probable qu'elle fasse appel. Dans ce cas, la peine d'inéligibilité serait suspendue jusqu'au nouveau procès. Et si elle est condamnée par la cour d'appel, elle formera vraisemblablement un pourvoi en cassation, également suspensif.
Si l'on compare les délais habituels de la justice à l'agenda politique de Marine Le Pen, on peut imaginer que la décision du procès en cours serait rendue d'ici trois mois, qu'un procès en appel se tiendrait un an plus tard, avec de nouveau trois mois avant le rendu d'une décision en appel - soit juin 2026 environ.
Reste ensuite l'étape du pourvoi, avant que la décision de justice ne soit définitive.
En matière pénale, la Cour de cassation rend en moyenne ses arrêts en cinq mois.
Mais si le dossier est complexe ou les avocats très pointilleux, ce délai peut largement s'étirer: deux ans, par exemple, entre le pourvoi de François Fillon et la décision de la Cour de cassation (mai 2022-avril 2024).
Il est donc tout à fait envisageable qu'il n'y ait pas de décision définitive dans ce dossier avant la présidentielle de 2027. Et si Marine Le Pen devait être élue présidente de la République, la procédure serait suspendue le temps de son mandat.
L'exécution provisoire
L'appel est suspensif... sauf si le tribunal assortit la peine d'une "exécution provisoire" - ce qui veut dire qu'elle s'applique dès la condamnation, qu'il y ait appel ou non.
Marine Le Pen ne devrait cependant pas, si le cas se présentait, perdre son mandat de députée à l'Assemblée nationale.
Le Conseil constitutionnel, de manière constante, refuse en effet de déchoir de leur mandat les parlementaires condamnés à une peine d'inéligibilité, tant que la décision n'est pas définitive.
L'argument - étonnant car il vide de sens le principe même de l'exécution provisoire - avait notamment justifié le rejet de la demande de déchéance de mandat de l'ancien sénateur socialiste Jean-Noël Guérini, en 2021.
Mais une éventuelle exécution provisoire pourrait toutefois peser lourd dans la balance. Car qui sait comment le Conseil constitutionnel, chargé d'enregistrer et d'examiner les candidatures à la présidence de la République, accueillerait celle d'une prétendante sous le coup d'une peine d'inéligibilité en cours ? Là-dessus, il n'y a pour l'heure pas de jurisprudence.
Philippe Olivier, l'homme de l'ombre de Marine Le Pen