Mercredi matin, quelque 160 eurodéputés écoutaient la Commission présenter son programme de travail pour 2025. Cela peut sembler peu sur un total de 720, mais c'est en réalité bien plus que d'habitude.
Si les eurodéputés se pressent à l'heure des votes -- et en cas d'absence, leur indemnité journalière est réduite --, leurs sièges bleus foncés restent largement inoccupés le reste du temps, même lors de la venue de personnalités comme la présidente de la Banque centrale européenne Christine Lagarde lundi.
Parce que cette image d'un hémicycle déserté fait tache, l'institution a décidé d'agir, en testant un nouveau format avec une liste d'orateurs non connue à l'avance. Cela contraint les eurodéputés à être présents dès le début du débat et à attendre de voir leurs noms s'afficher pour prendre la parole, au lieu de venir uniquement à l'heure précise de leur allocution.
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Résultats "encourageants"
"Gardez un oeil sur les écrans", leur enjoint la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola. "On surveillera l'heure mais je m'attends à un débat assez animé", espère-t-elle, encourageant les orateurs à rejoindre les premiers rangs.
Ce test a débuté en janvier, avec des résultats "encourageants", selon le service de presse du Parlement européen.
Environ 150 eurodéputés ont participé à l'un de ces débats au nouveau format en janvier, soit trois fois plus que lors de débats comparables, et ils sont restés plus longtemps dans l'hémicycle.
"Il y a clairement eu une augmentation de la participation", se félicite l'eurodéputé allemand Damian Boeselager, membre du groupe des Verts.
Avec environ 60 jeunes parlementaires, ce trentenaire a proposé dix idées à la présidente Roberta Metsola pour "améliorer" la participation et rendre les débats "plus vivants" et "pertinents".
"Je n'exige pas qu'il y ait en permanence tout le monde", mais au moins "30 % des députés européens", suggère M. Boeselager.
Et de pointer du doigt les eurodéputés qui privilégient les "prises de parole d'une minute qu'ils vont ensuite poster sur les réseaux sociaux".
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"Mauvaise solution, vrai problème"
Mais la mesure fait grincer des dents. Des eurodéputés se défendent en soulignant qu'une grande partie de leur travail se déroule en coulisses.
"Quand on n'est pas dans l'hémicycle on n'est pas en train de se tourner les pouces et de se faire les ongles. On est en train de négocier des résolutions, de peaufiner des amendements, de rencontrer des interlocuteurs qui profitent de la plénière pour venir nous voir, on va voir les commissaires", s'agace Nathalie Loiseau, membre de Renew et ancienne ministre chargée des Affaires européennes.
Pour Manon Aubry, coprésidente du groupe La Gauche, l'expérimentation est une "mauvaise solution à un vrai problème".
"Ce qu'a proposé Mme Metsola ne va rien changer. Oui, il y a plus de gens dans l'hémicycle mais il n'y a pas plus d'échanges", estime-t-elle.
Lors d'un débat, les présidents de groupes politiques sont les premiers à prendre la parole puis chaque orateur s'exprime l'un après l'autre, sans interaction.
"Ca a l'air d'être un Parlement, mais ce n'est pas un Parlement", tacle Jordan Bardella (RN), président du groupe Patriotes pour l'Europe.
"Quand vous prenez la parole c'est une minute, une minute 30, il n'y a pas d'échange avec les parlementaires, même pas à cause de la barrière de la langue, mais parce que le format est ainsi fait", poursuit-il.
La seule manière pour un eurodéputé de réagir aux propos d'un orateur est de lever un "carton bleu" qui, s'il est accepté, donne droit à 30 secondes maximum pour poser une question. L'orateur aura le même temps pour y répondre.
"On est assez peu à les utiliser", regrette Manon Aubry. Elle plaide pour faire "moins de débats, mais mieux, avec plus d'échanges politiques, de confrontations d'idées".
L'expérimentation sera évaluée en conférence des présidents, qui décidera de la poursuivre ou d'y mettre fin.
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